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SOUS LA DOUBLE BOTTE  NAZIE ET VICHYSTE

Champagney sous l'Occupation - 2 -

Dès le 28 juin 1940 un « Commandement militaire de Région » est constitué à Vesoul. Le Préfet doit lui soumettre ses arrêtés et circulaires. A partir de cette date l’occupant impose ses vues et Jacques Henry, le préfet (Jacques Henry nommé Préfet de la Haute-Saône le 1er mai 1938 quittera Vesoul le 14 juin 1941 sur la pression des Allemands « parce qu’il ne collabore pas ». Son successeur Paul Théry mourra à Dachau le 15 janvier 1945) envoie aux maires du département une circulaire qui a le mérite d’être claire : « Vous n’êtes pas seulement responsables de votre commune à mon égard … vous l’êtes également aux yeux de l’autorité militaire allemand … Aussi, je vous recommande très instamment de vous conformer avec autant d’exactitude que de rapidité à toutes les instructions qui vous seront données, tant par la Kommandantur dont vous dépendez, que par moi-même. » (Circulaire N°1 du Préfet aux maires du 29 juin 1940).

C’est ainsi que le six juillet, arrive en mairie de Champagney une note de la préfecture faisant état des premières exigences de l’occupant. Voici les principales d’entre elles : toutes les armes de guerre et de chasse doivent être déposées en mairie, aucune lumière ne doit être visible du dehors, la circulation est interdite entre 22 heures et cinq heures, l’autorisation de circuler à bicyclette doit être demandée à la Kommandantur, la police sera assurée par la gendarmerie de Ronchamp et par la compagnie des sapeurs pompiers de Champagney, les restaurants et cafés seront ouverts de sept heures à 21 heures, les directeurs d’usine sont invités à reprendre leur activité, la commune doit être en parfait état de propreté, les sources et puits protégés des infiltrations de fumier, l’hygiène du bétail un souci constant, les chiens attachés ... En outre, tout militaire allemand devra présenter un ordre de réquisition signé par la kommandantur et la censure est, évidemment, en vigueur. Aussi, Édouard Hambert à la lecture du « Petit Comtois » s’exclamera‑t-il, mi blasé, mi scandalisé : « L’est encore, plus boche que les Boches ! »

Champagney sous l'Occupation - 2 -

Le conseil municipal de Champagney s’était réuni pour la dernière fois avant ce triste été, le 27 avril. Les élus se retrouveront le 22 août. Au cours de cette première réunion, ils décident, en raison « des difficultés du moment » (Délibération du conseil municipal), la suppression des fournitures scolaires (sauf pour les indigents et les familles nombreuses). Au mois de novembre, ils entérinent officiellement l’activité d’interprète qu’occupe bénévolement depuis le premier juillet Paul Angly, ceci « à titre provisoire et pour un temps indéterminé » (Délibération du conseil municipal du 2 novembre 1940). C’est là un paradoxe car le nouvel employé, d’origine alsacienne est exposé à des représailles. C’est pourquoi on lui installera un bureau en mairie pourvu d’une porte de sortie permettant un départ précipité. (Dans le découpage issu de l’armistice l’Alsace et la Lorraine sont annexées au Reich. Nombreux seront les Alsaciens qui quitteront leur province. A plusieurs reprises les Allemands feront des rafles visant ces réfugiés. Le notaire Jeanneret au coiffeur Liechty : « Ferme vite ta boutique, les Allemands prennent tous les Alsaciens ! »)

 

Afin d’éliminer les élus dont l’esprit ne colle pas au nouveau régime et plus largement soucieux de disposer de maires plus malléables, le gouvernement promulgue la loi du le novembre 1940 sur la réorganisation des conseils municipaux. Les communes de 2000 à 10 000 habitants voient alors leurs édiles directement nommés par le Préfet. Dès la nomination des nouveaux membres, les anciens élus doivent quitter leur fonction.

Jules Taiclet est nommé maire de Champagney le 25 janvier 1941. « Lequel maire a été choisi, mais nullement obligé et c’est donc en toute connaissance de cause qu’il devra assumer son mandat » précise Jean‑Claude Grandhay (La Haute-Saône dans la deuxième Guerre mondiale – Sous le signe de la francisque – 1991 – Herti). Avec la réserve tout de même que ces hommes qui acceptent la gestion de leur commune ne savent Pas, à cette date, de quoi sera réellement fait le quotidien de l’Occupation.

 

Laissez-passer délivré à Maurice Mathey le 21 septembre 1944. On peut y lire : " Le présent certificat atteste qu'il est autorisé à se déplacer sur les routes de Champagney de 8 h à 18 h. Ce laissez-passer est révocable et n'est valable qu'associé au port du brassard ... L'attestation perd sa validité le 22-09-44 à 20 heures."

Laissez-passer délivré à Maurice Mathey le 21 septembre 1944. On peut y lire : " Le présent certificat atteste qu'il est autorisé à se déplacer sur les routes de Champagney de 8 h à 18 h. Ce laissez-passer est révocable et n'est valable qu'associé au port du brassard ... L'attestation perd sa validité le 22-09-44 à 20 heures."

Le deux février 1941, c’est au tour du nouveau conseil municipal d’être « désigné » et le lendemain est publié l’arrêté nommant les premier et deuxième adjoints: Édouard Taiclet et Jules Chagnot.

La démocratie est morte. Cependant, malgré le caractère autoritaire de la procédure, le nouveau conseil municipal de Champagney ressemble beaucoup à celui sorti des urnes en 1935 et qui fonctionna jusqu’au deux novembre 1940. En effet, sur les dix‑huit édiles de la nouvelle assemblée (ils étaient vingt‑trois jusque là) onze sont des élus de 1935 et seulement sept nouveaux noms apparaissent. Sept personnes choisies par le maire car, d’après la loi nouvelle, le Préfet donne son aval à une liste présentée par le maire fraîchement nommé.

Les anciens sont donc, outre le maire Jules Taiclet, les conseillers Jules Chagnot, Jacques Durin, Anatole Gillet, Charles Grisey, Charles Mettetal, Alphonse Mozer, Charles Ribaud, Casimir Richard, Jules Simonin et Edouard Taiclet. Les nouveaux conseillers municipaux sont : Mademoiselle Georgette Paris, sage‑femme (première femme responsable municipale à Champagney) nommée au « titre des œuvres privées de bienfaisance et d’assistance », le menuisier Maurice Collilieux dit « père de famille nombreuse », Édouard Piguet, employé des chemins de fer « représentant des groupements professionnels de travailleurs », Henri Bouvier, patron de boulangerie au Pied‑des‑Côtes, le marbrier Georges MaIblanc, le marchand de vin Maurice Mathey et le cafetier Jules Valquevis.

Cette nouvelle assemblée qui ne se réunira que quatorze fois jusqu’à la Libération, se met au travail le 19 février 1941. A la fin de cette première séance, elle décide, ne dérogeant ainsi en rien au sentiment général du moment « que, ta place de Champagney et la rue allant de la place à la gare porteront le nom de Place et Rue du Maréchal Pétain (De nombreuses cités haut‑saônoises feront de même en cette première moitié de l’année 1941, l’exemple étant donné par Vesoul dès le mois de décembre 1940. Le 19 novembre 1944, dans la matinée, les Libérateurs arracheront du mur de la mairie de Champagney, la plaque portant le nom de Pétain).

Carte de jardinage de 1942 ayant appartenu à Léon Lacour

Carte de jardinage de 1942 ayant appartenu à Léon Lacour

En tout état de cause il n’est pas facile d’être maire sous l’Occupation. Les maires sont réunis régulièrement à Lure pour recevoir les instructions des Allemands. Jean Girardot évoque l’une de ces rencontres : « Le Feldkommandant nous signifie que si les réquisitions des autorités d’occupation n’étaient pas ponctuellement satisfaites il nous enverrait des soldats qui iraient sur place pour les exécuter et sans indemnités ! » (Jean Girardot : Mémoires d’un Maire sous l’Occupation ‑ SHARL ‑ 1989).

Dès l’été 1940, les Allemands font savoir qu’ils peuvent exiger de la main d’œuvre des communes pour les travaux d’intérêt public. Le casse‑tête des listes de travailleurs va commencer pour les maires.

 

C’est la loi du 4 septembre 1942 qui institue le Service du travail obligatoire. Les patrons d’usine doivent désigner suivant des quotas les ouvriers condamnés au travail en Allemagne. Mais pas seulement, car les maires ont eux aussi, l’ingrate tâche d’établir la liste de tous les habitants de leur commune qui, en raison de leur âge et de leur profession, sont soumis au STO. Il faut savoir qu’en étaient exclus les agents SNCF, les agriculteurs et personnels d’exploitations forestières, les mineurs, les jeunes de moins de vingt ans, les pères de famille ayant au minimum trois enfants à charge et les anciens prisonniers de guerre. Cette servitude va rapidement devenir épuisante moralement pour les responsables municipaux, l’occupant et l’administration française les soumettant à une pression constante.

Par exemple, le 14 novembre 1942, un télégramme du Préfet informe les maires qu’ils doivent fournir une liste de travailleurs, des hommes de vingt à cinquante ans. En fait, ils ne produiront que des listes d’inaptes. En conséquence, le cinq décembre tous les maires des cantons de Lure, de Champagney et d’Héricourt sont convoqués à Lure pour treize heures. Ils doivent être porteurs de la liste de tous les hommes de leur commune âgés de vingt à cinquante ans. Soixante maires sont présents. Ils feront bloc et ne seront libérés qu’après 18 heures, le sous‑préfet obtenant que la désignation des hommes soit faite par les employés du bureau de placement allemand en présence du maire de la commune concernée. Cette histoire rapportée par Jean Girardot, alors maire de Magny‑Vernois, montre la tension permanente qui régnait alors sur les responsables locaux.

Le maire doit en permanence faire preuve de sang‑froid et de diplomatie. Jules Taiclet lors d’un de ses premiers contacts avec l’occupant leur rétorque : « Je sais, je connais la loi des vainqueurs ! »

 

Nouveau coup dur en 1943. Le seize février, le gouvernement Laval crée une nouvelle loi afin de répondre aux exigences croissantes des Allemands. Tous les jeunes gens nés en 1920, 1921, 1922 sont soumis au STO. Les insoumis déclarés réfractaires se trouveront privés de tout titre d’alimentation. Cette loi bouleverse encore plus le quotidien et la vie familiale et sera la cause de nombreux départs pour les maquis locaux.

Lorsqu’on reçoit la sinistre feuille, la première réaction est de se cacher, avant ou après la visite médicale qui a lieu à Lure, peu importe. Les gendarmes français sont chargés de porter les convocations, des arrestations et des transferts. Ainsi, c’est le gendarme Verdun (Il sera le seul gendarme de Champagney rescapé, les autres seront fusillés à Banvillars le 10 octobre 1944) qui se rendra chez Émile Cuenin. Surpris de trouver le jeune homme, il se contentera de lui demander ce qu’il fait encore là. Émile Cuenin, chanceux, en guise de parade ira se faire employer aux houillères voisines où il sera mineur de fond jusqu’en septembre 1944. Ce sera souvent une des solutions utilisée par les jeunes du secteur pour échapper au travail en Allemagne. Gaston Thomassey, chef de service administratif aux mines de Ronchamp est souvent intervenu en leur faveur permettant à nos garçons de se retrouver aisément embauchés aux houillères. Du décrassage des chaudières à la centrale, au triage en passant par l’extraction, peu importait l’emploi, l’essentiel étant d’échapper au STO.

 

De toute façon, les mines ne travaillaient‑elles pas pour l’Allemagne ? Les Allemands y étaient d’ailleurs présents physiquement, aux « Grands bureaux »" (site anciennement Maglum) et sur les puits, réglant tous les problèmes pouvant survenir. Ainsi, un jour l’eau vint à manquer sur un chantier (un mineur consommait en moyenne deux litres de café et quatre litres d’eau). Alphonse Pheulpin, délégué, s’adresse sans complexe à l’Allemand de service : « Nous ne redescendrons pas tant qu’il n’y aura pas un tonneau d’eau ! » et le Teuton de faire le nécessaire sur le champ (Témoignage d’Émile Cuenin – 1998). Gilbert Guillaume se souvient aussi, par exemple, qu’au triage les ouvriers étaient moins attentifs et laissaient volontiers des cailloux dans ce charbon destiné à l’Allemagne.

 

Carte du STO ayant appartenu à Emile Cuenin

Carte du STO ayant appartenu à Emile Cuenin

Les jeunes garçons requis pour le travail outre‑Rhin se cachaient environ quinze jours. Mais, dans l’intervalle les Allemands étaient venus plusieurs fois menacer de prendre le père, voire la sœur et c’est, la mort dans l’âme, qu’il fallait partir.

C’est ici qu’il nous faut évoquer le rôle et la figure de Louis André. Nombreux seront les Champagnerots qui échapperont au STO grâce à leur concitoyen du Magny.

Louis André (1892‑1948), frère du missionnaire Georges André  (Voir sa biographie dans la catégorie «Champagnerots célèbres »)  est employé, avant guerre, aux services du génie rural au Maroc. Il rentre au village natal en 1942, appelé au chevet de sa mère malade. En novembre 1942, le débarquement en Afrique du nord l’empêchera de rejoindre son poste. Il obtient alors une place à la préfecture de la Haute‑Saône dans des services de police intérieure semble‑t‑il. Très vite il va utiliser ses pouvoirs pour venir en aide à ses compatriotes, leur permettant en particulier d’échapper au STO. Jonglant avec les tampons, les relations et les papiers officiels arrangés, il transforme aisément un boulanger en mineur, fait passer un engagement fictif à celui‑ci, fournit un faux salvateur à celui‑là.

André Beurier rencontre son « sauveur » après la guerre et veut encore le remercier : « Me remercier de quoi ? Tous ceux que, j’ai aidé ne tiendraient pas dans le pré que tu vois là ! » Les Allemands finiront pas s’apercevoir du jeu de l’employé qui sera obligé de se cacher, de multiplier les planques pour finir au maquis de Servance.

Décoré de l’ordre du Mérite National, Louis André, après la guerre, rejoindra sa famille au Maroc, pays où il repose aujourd’hui.

 

Louis André

Louis André

Les maires sont le dernier barreau de l’échelle : c’est à eux qu’il revient de faire appliquer les volontés du gouvernement français, à fiortiori celles des envahisseurs. « Toute l’administration est aux ordres de l’occupant … Les instructions de l’État français reçues par les préfets et les sous-préfets étaient dictées par les Allemands ou, ce qui revient au même, soumises au préalable à leur approbation. Ils veillaient soigneusement à ce qu’elles soient fidèlement répercutées aux différentes administrations et aux maires en fin de comptes. » (Jean Girardot, déjà cité).

 

Plus que jamais, c’est le cas en ce qui concerne le pénible chapitre de la chasse aux juifs. La première ordonnance promulguée à leur encontre date du 27 septembre 1940. A partir de cette date l’arsenal juridique franco‑allemand se met en place et le quinze octobre est organisé un premier recensement. Les données récoltées auprès des maires par le Préfet doivent parvenir aux autorités allemandes avant le 25 octobre. Le maire de Champagney annonce le chiffre de trois pour sa commune, trois familles juives semble‑t-il. Cette comptabilité va se développer en Haute‑Saône, puis les arrestations commencer et leur nombre culminer en 1944.

 

A Champagney, l’on se souvient de la famille Bloch. Avant la guerre, Monsieur Bloch était coiffeur et fervent supporter des footballeurs locaux. L’autre famille juive évoquée par nos témoins est la famille Lévy, d’ailleurs cousins des Bloch. Réfugiés à Champagney, ils logeaient Sous‑lès‑Chênes, maison Luxeuil. Monsieur Lévy est alors prisonnier de guerre. Son épouse refusera de suivre les Bloch lorsque ceux‑ci quitteront Champagney pour se rendre en zone libre. Bien mal lui en prit puisque le 25 février 1944, deux gendarmes de la brigade locale viendront l’arrêter avec ses deux enfants : Jean né en 1934 et Jeanine née en 1939.

Fernande Lévy et son fils seront conduits au centre de rassemblement d’Héricourt avant d’être déportés en Allemagne. Jeanine, malade sera hospitalisée à la Société de préservation de l’enfance Grancher à Héricourt avant d’être placée chez Madame Malbrun habitante de la même ville (Rapport du commissaire de police d’Héricourt du 27 mai 1944).

Madame Lévy mourra en déportation. Le destin fera de son fils un survivant du génocide. (Voir l’histoire Fernande Lévy dans la catégorie « Histoire locale »).

 

 


 

Mme Lévy et ses enfants à Champagney en 1942 (coll Micheline Marsot)

Mme Lévy et ses enfants à Champagney en 1942 (coll Micheline Marsot)

Tag(s) : #Histoire locale
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