LA VIE, AUTRES CONTRAINTES
Champagney était donc au XVIIIème siècle une localité fort active tant au point de vue agricole qu’industriel. Laboureurs étaient nombreux de même que fermiers, manouvriers et journaliers qui tiraient de la terre ce que le climat et la géographie voulaient bien leur accorder et il arrivait souvent, comme en fructidor an II (septembre 1794), que l’on manque de grain. L’on connaît les conséquences de ces difficultés.
L’agriculture et l’élevage
La terre qui est à la disposition du monde agricole est en quantité assez importante. En 1782, en biens de roture seulement, il existait 500 quartes de champs estimés de « bonne qualité », de même que 443 quartes de prés ; 653 quartes de champs sont dits « médiocres », de même que 275 de prés ; 1000 quartes de champs sont dites « mauvaises » ainsi que 228 quartes de prés.
Les cultures étaient assez diversifiées. Pour l’an III (1794-1795), on trouve quinze journaux de froment, 300 de seigles, douze d’orges, cinquante de sarrazin, trente de pommes de terre, cent d’avoine, 200 de foin, douze de chanvre, cinquante de poix. Pour l’année 1790 on dénombre 679 fauchées de prés, 968 journaux de champs et 1250 arpents de bois.
L’élevage était développé comme le prouvent les rôles d’imposition :
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1774 |
1776 |
1778 |
1779 |
1782 |
An 3 |
chevaux |
4 |
10 |
10 |
15 |
35 |
23 |
juments |
8 |
2 |
2 |
7 |
12 |
|
bœufs |
218 |
218 |
218 |
218 |
336 |
356 |
vaches |
244 |
248 |
258 |
249 |
529 |
500 |
porcs |
143 |
148 |
148 |
194 |
238 |
603 |
Moutons |
126 |
231 |
31 |
|
535 |
618 |
Veaux & génisses |
119 |
122 |
122 |
200 |
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211 |
chèvres |
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64 |
237 |
fauchée |
Quantité de blé ou d’avoine qu’un homme peut faucher – à la faux – en un jour, soit de 15 à 18 ares. |
journal |
Surface qu’on labourait en une journée – très variable – environ 34 ares – 470 valeurs différentes en France. |
quarte |
Une quarte = ¼ de journal |
arpent |
30 à 50 ares selon les régions |
On constate tout au long de cette période, aux dates pour lesquelles nous sommes documentés, un accroissement du nombre d’animaux, signe incontestable de richesse. Mais le malheur pouvait s’abattre sur le paysan par l’intermédiaire du bétail. Pour preuve cette maladie contagieuse qui frappa l’ensemble du bailliage en juin 1763.
Le nombre des charrues est constant. Il tourne autour d’une trentaine à partir des années 1776, sauf en 1774 où on en compte cinquante.
Autres activités
Champagney était un bourg aussi industriel qu’agricole. En l’an III, i1 y avait, outre les houillères, la verrerie, huit tuileries, un moulin. Il ne faut pas oublier l’exploitation des forêts et la vente des écorces de chêne qui était une des principales ressources de la communauté.
Verriers et mineurs étaient parmi les ouvriers les plus miséreux et les plus durement éprouvés. Les faibles moyens d’exploitation de cette époque faisaient de la mine un bagne. Il avait fallu abandonner l’exploitation à ciel ouvert pour s’enfoncer dans le sous-sol. Malgré cet archaïsme, le travail avançait : 40 000 tonnes de minerai seront extraites entre 1763 et 1784.
Rien n’était facile pour le petit peuple. Cependant, malgré le dur climat dont Champagney subissait l’influence, associé aux retards dans tous les domaines, ces individus, lorsqu’ils avaient atteint un certain âge, étaient des hommes, puissants physiquement, capables d’arriver aisément à la vieillesse.
Voici l’image que donne Lucien Febvre des paysans haut‑saônois : « généralement grands, bruns, secs, plus robustes qu’agiles et adroits, plus constant et braves que fins. » (Lucien Febvre, Histoire de la Franche-Comté). En réalité ce qui détruisait nos ancêtres c’étaient des travaux excessifs et lune hygiène rudimentaire.
La milice
Le pouvoir civil venait encore s’imposer par le biais de l’armée, Le tirage annuel de la milice étant alors parmi les hantises des campagnes.
La création de la milice royale remonte à 1688, causée par les besoins énormes d’hommes liée à la politique militaire de Louis XIV. L’origine « provisoire » de cette institution sera vite oubliée puisque la milice existera jusqu’à la fin de 1’Ancien Régime.
Elle fut toujours organisée par les intendants et leurs subdélégués. Chaque paroisse de moyenne importance fournissait au minimum un milicien qui servait de trois à six ans. Subissant un léger entraînement en temps de paix, il était affecté durant la guerre à la garde des places et à la surveillance des voies de communication.
Les miliciens furent répartis au XVIIIème siècle en une centaine de bataillons provinciaux. Ils étaient tirés au sort et désignés par un « billet noir » parmi les célibataires d’abord, puis les veufs sans enfants et enfin parmi les hommes mariés les plus jeunes.
Pour être sujet au tirage il fallait être âgé de 16 à 40 ans et avoir une taille d’au moins cinq pieds (1,62 m). Infirmités, mariages et naissances furent les conséquences évidentes de l’existence de cette institution.
A Champagney, d’après les documents que nous possédons et qui concernent les années de 1776 à 1789 (Archives de la Haute-Saône, milice provinciale C234-C235-C238-C240) nous savons qu’il était tiré en moyenne deux hommes par an (sauf pour les années 1778, 1784 et 1787 où il n’en est parti qu’un seul.) En 1789, 71 hommes ont été soumis au tirage.
Peu étaient donc pris mais le risque était encore trop grand d’où l’apparition de l’absentéisme au tirage. A Champagney sont absents le jour du tirage deux hommes en 1779 et en 1780, un homme en 1776, 1778, 1785 et 1786.
Ce phénomène, un des plaies du système, donnera lieu à des mesures de représailles et à des recherches toujours renouvelées (d’autant plus qu’il était néfaste pour les hommes restant car augmentant les risques pour eux de partir pour l’armée).
C’est cet aspect du problème que souligne l’intendant en 1758 dans une lettre au subdélégué dans laquelle il réclame plus d’efficacité dans cette chasse aux fuyards.
Il faut dire qu’un grand nombre d’hommes échappait automatiquement au tirages : c’étaient les principaux fermiers, leurs fils et leurs domestiques, les bourgeois, rentiers et marchands payant une certaine cote de taille ou de capitation, les fermiers apportant un bail de plus de 300 livres avec 1eurs fils, leur principal valet et leur charretier, les fils de veuves ayant boutique, atelier ou exploitation rurale. En somme, le tirage était réservé aux miséreux, pauvres diables des villes et des campagnes ;
Parallèlement aux multiples motifs d’exemptions se faisait un véritable « marché » des remplaçants. Sur ce point précis, on ne trouve qu’un seul cas à Champagney. Il s’agit de Jean‑Baptiste Couturier tombé au sort en mars 1775 et parvenant à se faire remplacer quelques mois plus tard par un nommé Seguin.
La campagne sera toujours profondément hostile à ce semblant de service militaire, la majorité des cahiers de doléances en témoigne. Ainsi celui de Champagney où l’article 7 déclare et demande à ce « que la forme actuelle du tirage de la milice sera abrogée et il y sera pourvu par les États de la Province de manière à éviter les frais immense qu’elle occasionne. » Il est vrai que ces opérations entraînaient d’importantes dépenses, les frais de milice mentionnés sur les rôles d’impositions en attestent. Par exemple à Champagney en 1776, 92 livres 18 sols et 6 deniers sont répartis pour « l’entretien et l’habillement des milices. » Deux années plus tard, en 1778, c’est la somme de 319 livres et 4 sols qu’il faut réunir.
L’armée de l’Ancien Régime était composée d’un étrange amalgame d’éléments hétérogènes : volontaires, racolés et tirés aux sorts. Seuls les premiers formaient un noyau solide, les autres n’étant que des militaires d’occasion n’ayant jamais demandé d’exercer ces fonctions.
Un certain nombre d’hommes originaires de Champagney eurent d'autres relations avec l’armée. On en
trouve, en effet, quelques uns militaires décédés loin de leur village natal, dans des lieux très divers.
Il s’agit de :
nom |
régiment |
Date du décès |
Lieu
du |
Jacques Piguet |
Régiment de Rohan-Soubise, compagnie de Guillomont |
Avril 1777 |
Borgue en |
Pierre Boland |
Régiment de Metz, artillerie, compagnie de Durand Boncordier |
Mai 1777 |
Douay |
Georges François Boland |
Régiment des Gardes Françaises, compagnie de Sombream - Paris |
Janvier 1778 |
Gros |
Joseph André |
Apprenti au Corps Royal d’artillerie, régiment de la Fère, compagnie de Borch |
Juillet 1781 |
Strasbourg, cimetière |
Dèle Taiclet dit « Vive Hamour » |
Fusillier de la compagnie du chev. Dudemain |
Janvier 1788 |
Sélestat |
Claude Pinot |
Volontaire au 3ème bataillon de Mâcon |
Février 1793 |
|
AJB
illustrations : planches de l'Encyclopédie
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Champagney - 1750 et 1800 - la vie, autres contraintes - 2 -
Démographie & société à Champagney -
1750 et 1800 - la vie, autres contraintes - documents