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La mort du général Brosset

 

 

Mort juste après avoir libéré notre cité, le nom de Brosset est à jamais lié à l'histoire de Champagney. Diego Brosset, issu d'une vieille famille lyonnaise, est né à Buenos Aires, le trois octobre 1898. À dix-huit ans, en 1916, il s'engage pour la durée de la guerre.

Son comportement lui vaudra quatre citations et il deviendra vite sous­-officier. Le général Koenig écrit, à propos de l'engagement du jeune homme, ce jugement d'une belle clarté : « Son volontariat est dicté par une décision de faire craquer des barrières dans lesquelles il refusera de se laisser désormais enfermer ».

 

  En 1920, le futur général entre à l’école de Saint-Maixent et, devenu sous-lieutenant, entreprendra une carrière coloniale. Sa vie se déroulera alors en Afrique (AOF, Mauritanie, Maroc) jusqu’à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. L’expérience de ce diplômé d’arabe littéraire en fera un spécialiste de L’Afrique qu’il affectionne, lui permettant d’écrire de nombreuses études consacrées à ce continent.

 

  « La drôle de guerre » ne convient pas à, ce tempérament. On aurait été surpris du contraire. Il se rend vite insupportable à ses supérieurs qu’il accuse de manquer d’audace et d’imagination. Rapport de cause à effet ? En avril 1940, il est expédié à la Mission militaire française de Colombie. C’est là que le touche l’appel du général de Gaulle. Il rejoint Londres où il devient sous-chef d’état-major. A ce titre, il accompagne le chef de la France Libre en Ethiopie et en Egypte. Ses responsabilités auprès de l’armée de la France Libre en gestation ne vont cesser de croître. Cet officier rehausse le prestige de notre pays auprès des Britanniques avec lesquels il collabore étroitement.

 

  En janvier 1943, il prend le commandement de la 2e brigade française libre, la future DFL qu’il ne quittera plus. Cette division, moins favorisée que sa cadette la 2e DB, est restée une division d’infanterie. Brosset est le chef idéal pour une telle troupe qu’il aime et qui lui rend bien. Voici comment son chef présente la 1ère DFL : « Elle est comme une fille, une fille susceptible, bien douée, capricieuse, difficile et, quand elle veut, charmante. Elle a des excuses à ne pas être comme tout le monde... » (Portrait de la 1ère DFL par Brosset : propos recueillis par Maurice Druon le 23 octobre 1944. Annuaire de la 1ère DFL – 1970).

En 1944, elle entame sa cinquième année de campagne sous tous les climats : Libye, Tunisie, Italie, France. Après avoir débarqué en Provence, libéré Toulon, Lyon, Autun, elle poursuit les Allemands encore retranchés au pied des Vosges.

 

  Le 20 novembre, vers 7 heures, Brosset, radieux, quitte son PC de Melisey. « Tout marche bien, dit‑il, nous serons ce soir à Giromagny. » Comme à son habitude, malgré le froid et le mauvais temps, il est en short et conduit lui‑même sa jeep découverte. Son aide de camp, Jean‑Pierre Aumont, est à ses côtés, son chauffeur Pico, à l'arrière. Le général fonce et les trois hommes chantent à tue-tête des airs patriotiques et de vieilles chansons. Ils visitent les brigades en coupant par les bois. Lorsque la jeep s'embourbe, le général descend et, jambes nues dans la neige, la sort de l'ornière. Décidément rien chez lui n'est banal, tout son comportement 1e fait aimer de ses hommes et provoque surprise et admiration des popula­tions libérées.

  L’offensive a repris. Le BM 24 a dépassé les bois de Passavant et le BM 21 est au Pré‑Besson. Fébrile, le général lance en plus sur Plancher‑Bas l'escadron Barberot et un peloton de tanks­ destroyers. À 11 h 15, Brosset toujours en tête, la colonne investit Plancher‑Bas et vers 12 h 30 Auxelles‑Bas où les gens embrassent ce chef étonnant.

 

  Un peu plus tard, en fonçant sur Giromagny, le général verse dans le fossé, cassant ainsi la direction de son véhicule. Il exulte de voir sa divi­sion progresser aussi vite : sept kilomètres depuis le matin. Il emprunte une jeep du 8e chasseurs et repart pour Champagney à la même allure. « Jamais je ne l'avais vu aussi fougueux, aussi impatient, raconte Jean‑Pierre Aumont. Il s'écriera plusieurs fois : la vie est magni­fique! »

 

  En sortant de Plancher‑Bas, les fils d'un pylône tombé en travers de la route s'enroulent autour de ses roues. Il faut s'arrêter. Encore !

  Pas le temps d'attendre. Pressé d'arriver à Champagney où il doit transmettre ses ordres au commandant Saint‑Hillier, il intercepte une jeep du détachement de circulation routière, s'empare du volant. Son chauffeur a juste le temps de sauter à côté, Jean‑Pierre Aumont derrière. Le chauffeur de l'auto réquisitionnée peut quand même prévenir le général que celle-­ci déporte à gauche lorsqu'on freine.

  Jean‑Pierre Aumont rit de voir son chef le visage giclé de boue. « C'est ça qui est merveilleux, déclare Brosset. En ce moment, nous sommes dans la bagarre et dans la boue, et ce soir, je serai dans ma roulotte avec mes beaux chrysanthèmes... C'est merveilleux! »

Reparti en trombe, il a tôt fait de parcourir le kilomètre qui le sépare de Passavant, l'endroit où le matin même une barricade érigée par les Allemands avait arrêté ses hommes. Il arrive à cent à l'heure. Jean‑Pierre Aumont crie : « Attention le pont est miné! » Le général freine et donne un coup de volant pour éviter un fourneau de mine (Le 18 novembre, Robert Vissler se rend à Frahier. Dans le virage de Passavant, il tombe sur des Allemands occupés à creu­ser des trous de mines - 50 cm de côté - . À son retour d'autres Allemands posent des mines au Noirmouchot. A Passavant, ils sont toujours là et l'empêchent, cette fois, de passer. Il rebrousse chemin et assistera à la libération de Plancher‑lès‑Mines).

 

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  A la nécropole nationale de Rougemont (Doubs), la tombe du Général parmi celles de ses soldats tombés dans l'Est de la France.

La jeep quitte la route et bascule par‑dessus le parapet de pierre que la mémoire de tous les témoins associe à une margelle de pont, alors qu'en réalité il ne s'agit que d'une protection à un endroit où route et rivière se côtoient. Il est aux environs de 16 heures.

Le Rahin est en crue. L’acteur de cinéma (Jean‑Pierre Aumont est déjà connu comme acteur. Par exemple, Micheline Marsot l'a vu dans « Le lac aux Dames », salle Marie‑Ange à Ronchamp. À noter encore que Pierre Dac, alors soldat de la 1ère DFL, est présent au restaurant Helle, à Champagney, le 19 novembre) et le chauffeur parviennent à se dégager avant que la jeep ne soit engloutie. Le général, assommé semble-t‑il, est emporté par les flots glacés et rougeâtres du torrent.

 

  Dans ses souvenirs, Jean-Pierre Aumont raconte : « des mains m'agrippent et me hissent sur la berge. Le général? Où est le général? J'entendis me répondre “Ne vous en faites pas”, mais je compris vite qu'on me mentait. Le chauffeur était bien là, saignant, sur la route ; mais le général n'y était pas. Des hommes du génie fouillaient l'eau tant bien que mal. Un câble avait été attaché au pare‑chocs, la jeep émer­geait. Je vis le général raide, immobile, à son volant. Puis il bascula et fut emporté par le torrent. Plus bas, des hommes du génie, faisant la chaîne, arrivèrent à agripper son corps; mais le courant était si violent que le corps leur échappa... »

 

  Les recherches, auxquelles participèrent les pompiers de Champagney, continuèrent long­temps. Le corps du général est retrouvé le 22 novembre, semble‑t‑il. Les avis divergent quant à l'endroit : au centre de Champagney vers la Passerelle, à la Bachotte, à proximité du moulin du Magny.

  Pierre Deveaux du bataillon des Chambarand (unité de FFI affectée au BM 4) qui a participé aux recherches, raconte : « […] le corps du général est retrouvé, retenu par un barrage de branches, i1 flotte face au ciel. Même dans la mort, il apparaît plus grand, plus imposant qu’il ne l’a jamais été. Une civière est descendue sur la rive. Deux équipes de dix hommes seront nécessaires pour hâler au sommet de la berge le valeureux général. Un lent cortège se forme pour ramener sa dépouille vers l'arrière, tandis que la division blindée qui monte en ligne, rend les honneurs au passage ».

 

  Cette mort plonge la division dans la stupeur. À Champagney, Huguette Helle se souvient de soldats en larmes. Les obsèques du général Brosset ont lieu le 23 novembre à l'église de Lure. Auparavant, Jean‑Pierre Aumont est allé se recueillir à la chapelle ardente où le corps du général a été déposé : « [ ... ] il n'était pas déformé par son séjour dans l'eau. Tel nous l'avions connu, noble, puissant, tel la mort le conservait... »

 

  Le général de Larminat adresse au chef de la 1ère  DFL, l'homme aux dix citations, commandeur de la Légion d'honneur et compagnon de la Libération, un bel hommage: « [ ...] comme en d'autres temps les héros mouraient à cheval, il est mort au volant de sa jeep qu'il menait si durement au combat au mépris des mines, des obus et des balles pour conduire au plus près la bataille de sa division... Sa division, il l'aimait comme une amante et aussi comme une fille. Il l'avait faite avec un soin minutieux, attentif aux moindres détails, la voulant irréprochable. Et il la menait au feu avec hardiesse et prudence, s'exposant sans ménagements pour économiser le sang de ses hommes, pour tirer de leur valeur tout le parti possible au prix des moindres pertes... Adieu Brosset, vous aviez tout donné de vous-même pour la libération et le relèvement de votre pays : vous êtes tombé avant d'avoir pu accom­plir tout ce que vous vous proposiez, qui était grand et noble à votre mesure. D'autres le feront, inspirés par votre souvenir et votre exemple. »

 
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Sur le lieu de l'accident : virage de Passavant entre Champagney et Plancher-Bas (Haute-Saône)


 
Enfin le 26 novembre, parvient à la 1
ère DFL un message du général de Gaulle : « [ ... ] le général Brosset était mon bon compagnon, mon ami. Jamais je n'eus de lui que des preuves indéfini­ment prodigues d'ardeur, de désintéressement, de confiance... Ses derniers regards furent ceux d'un vainqueur puisqu'il vous conduisait à l'une des plus glorieuses victoires de cette guerre. Il est tombé sur le sol reconquis par vous sous son commandement ; c'est ainsi, je le sais, qu'il souhaitait mourir. Honneur au général Brosset, commandant la 1ère DFL, mort pour la France! »

 

Le général Brosset repose au cimetière de Rougemont (25) non loin de Villersexel, au milieu de ses hommes tombés en ce triste automne 1944.

 

Cette biographie est extraite de « Champagney entre 1939 et 1950 » de Alain Jacquot-Boileau (Franche-Comté Editions).

 

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L’acte de décès du Général Brosset (document Ijjo Brosset, fille du général que je remercie)

Il est daté du 27 novembre 1944. On peut y lire que le Général est décédé le 20 novembre 1944 à 16 h du soir, à Champagney. Il a été dressé par le sous-lieutenant André Larose. L’officier d’état civil est le commandant Garcia, les témoins, le sergent-chef Pierre Trouchaud (43 ans) et le soldat de 1ère classe Batista (24 ans).

 

Et à lire encore :   http://www.1dfl.fr/1-de-la-dfl/jean-pierre-aumont/



 

Tag(s) : #Brosset Diego
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