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Le témoignage d’un ancien mineur
Yvan Rantic, mineur à Ronchamp de 1945 à 1951


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Aîné d’une famille de six enfants, Monsieur Yvan Rantic est né à la cité au puits du Magny en 1931. Son père – également prénommé Yvan, est arrivé de Croatie en 1929, suivi peu après de Thérèse, son épouse. Ils se sont mariés à Magny Danigon. C’est la seule famille du bassin houiller de Ronchamp d’origine yougoslave. Yvan Rantic, après trente années de mine est mort, victime de la silicose, à l’âge de 56 ans. Son autre fils, Joseph, est également devenu mineur.

 

« Quels sont vos souvenirs du premier jour à la mine ?

C’était un jour de la fin du mois de juillet 1945, il faisait un grand soleil. J’avais quatorze ans. Comme le voulait la tradition, tous mes camarades de jeu m’ont accompagné jusque sur le carreau du puits du Chânois.

A cette époque, on gagnait peu d’argent et il fallait que les jeunes travaillent pour aider leur famille. Alors, au lieu de continuer l’école, même si on l’aimait, même si à cet âge on pense encore au jeu, on prenait le chemin de la mine.

Etiez-vous angoissé ce premier jour ?

Un petit peu quand même. Mais, en fait, on savait tout de la mine même avant d’y travailler. Par exemple, l’été, les mineurs se réunissaient pour bavarder. On était près d’eux et on les écoutait. Ils ne parlaient que de la mine, on connaissait tous les grands chantiers : Clovis, Canada, Cameroun, Bagdad, Ste Marie, Les Italiens…

Nous sommes descendus, j’ai suivi mon père dans les galeries jusqu’au montage Ste Marie où il travaillait à ce moment-là Les hommes y travaillaient à genoux dans les tailles.

Quel était votre rôle ?

J’étais galibot, bien sûr. On faisait un peu tout : on chargeait  les couloirs oscillants, les chariots, on les poussait, on amenait le bois, on nourrissait et soignait les chevaux, on portait l’eau aux chevaux et aux hommes là où ils se trouvaient, on prêtait main-forte aux boiseurs.

Il y avait encore des chevaux ?

Oui, il y en avait encore en 1945, mais c’était la fin. Il y en avait deux au puits du Chânois. Ils tractaient une dizaine de berlines. Il y avait 4 à 600 kg de charbon dans une berline. En bas, il y avait des petites locos diesel qui passaient au pied des fonçages et acheminaient les convois jusqu’à la recette du puits.

Quelle était la durée du travail ?

C’étaient des périodes de huit heures, les trois huit. On se levait par exemple à quatre heures du matin pour prendre le travail à cinq heures et on remontait donc à treize heures.

Quelle quantité de charbon abattiez-vous ?

On parlait de perches. Une perche faisait 2,50 m à 3 m de long. Chacun abattait environ une perche ½  soit plusieurs tonnes de charbon.

Avez-vous travaillé longtemps à la mine.

De 14 ans à 20 ans, donc jusqu’en 1951.

Avez-vous eu la silicose ?

J’en ai un tout petit peu car je ne suis pas resté longtemps au fond. Mais tous les anciens, ceux qui ont passé leur vie là-dessous, étaient atteints de silicose et tous mouraient jeunes, sans pouvoir profiter de leur retraite.

Dans quels puits avez-vous travaillé ?

J’ai donc commencé au puits du Chânois. J’ai aussi travaillé à l’Etançon. Je connais aussi le puits Arthur. J’ai eu la chance d’y accompagner les géomètres. On longeait toutes les galeries, on passait sous le puits du Magny et on remontait au puits du Chânois. Il y avait dix kilomètres de galeries communicantes. On descendait à neuf heures le soir pour ressortir à cinq heures du matin.

121-2199_IMG.JPGLe puits de l'Etançon de nos jours

Y avait-il du grisou ?

Il a été la cause de grosses catastrophes, mais pas à mon époque. Peu à peu, on a ouvert des galeries qui étaient balayées par un grand courant d’air envoyé depuis le Puits Arthur et Sainte-Marie. De grands ventilateurs avaient été installés ainsi que des portes pour répartir l’aérage dans les chantiers.

Quelle était la profondeur des puits ?

C’était très variable. L’Etançon avait 40 m de profondeur, le Chânois 588 m, celui du Magny 694 m et le Puits Arthur avec plus de 1000 mètres.

Avez-vous connu des catastrophes ?

Beaucoup ! Des individuelles. Une fois, on a perdu un chef porion, Marsot, écrasé au puits du Chânois. Une autre fois, au puits du Magny, un Polonais a ouvert la porte de la cage alors qu’elle n’était pas encore là. Il est tombé dans le vide.

D’une manière générale, les éboulements étaient fréquents et la barrette était une pauvre protection.

Quels sont vos souvenirs du drame de l’Etançon ?

Ils sont très présents. A l’époque, j’étais au Chânois, mais on a tous été mobilisés pour aider aux recherches. On a su tout de suite. Tout le fond de la mine était noyé. On a gardé l’espoir jusqu’au bout car on pensait que les quatre mineurs avaient pu gagner une hauteur du chantier afin de profiter d’une poche d’air. Une fois, j’ai accompagné Alphonse Pheulpin dans la galerie du Fourchie qui, théoriquement, devait passer juste au-dessus d’eux. Il criait leurs noms. En vain…

121-2197_IMG.JPGLe monument érigé sur le site de l'Etançon par les Amis de la Maison de la Mine de Ronchamp

Comment savait-on que c’était l’heure de manger ?

Simplement, tout s’arrêtait. Au fond c’était très bruyant à cause des marteaux-piqueurs. S’il y avait un groupe de dix mineurs, ça faisait dix marteau-piqueurs. La pause durait vingt minutes. On mangeait un sandwich avec du café noir. Certains mangeaient vite et profitaient du temps restant pour boiser.

Comment faisiez-vous pour vous reconnaître?

Oh, on se reconnaissait. On était tous entièrement noirs, les yeux brillaient et les dents seules étaient blanches. Mais on se reconnaissait, on savait bien qui était qui. Parfois, on était nus car il faisait très chaud dans les fonçages.

Où faisiez-vous vos besoins ?

Quand on progressait dans une taille, on évacuait le charbon au fur et à mesure, on le descendait par des couloirs. Cela faisait un vide que les galibots remblayaient avec de la caillasse. C’est dans ces vides qu’on faisait nos besoins ou dans les berlines.

Comment était l’ascenseur ?

Une simple cage métallique posée sur une plate-forme. Elle était ajourée, au cours de la descente on voyait le boisage du puits. La descente était très rapide, ça faisait un haut le cœur. La cage pouvait transporter deux ou quatre berlines.

Comment étiez-vous habillé ?

Un pantalon tenu par une ceinture, un maillot, une veste, la barrette et la lampe, une lampe électrique. A l’époque, il y avait encore des lampes Davy.

Aviez-vous un sobriquet ?

Pas les Rantic, mais nous on nous appelait les « Yougos » et les Polonais, les « Polacks ».

Où logiez-vous ?

Dans les corons du Chânois. C’étaient des baraquements de quatre logements de quatre pièces chacun, longtemps sans eau, sans électricité. On se chauffait avec du charbon attribué par les Houillères.

coron-du-Chanois.jpgLe coron du Chanois - photo Yvan Rantic

Aviez-vous des congés ?

A partir de 1936, on a eu des congés payés. Mais on ne partait pas de vacances. Pendant l’Occupation, la mine a offert aux enfants des mineurs un séjour dans les Alpes en colonie de vacances, à Pont de Beauvoisin en Savoie. C’était en 1942, 1943, des séjours d’un mois. On y retrouvait des enfants de mineurs du Nord et du Sud.

A la mine, le jour de repos de la semaine était le dimanche. Pourtant ce jour-là, une équipe d’entretien, une dizaine d’hommes, était mobilisée.

Et la Sainte Barbe ?

La Sainte Barbe était une grande journée. Le matin était consacré à la messe. La statue de Sainte Barbe était descendue depuis la Houillère en cortège, musique de la mine en tête. Elle était portée par des trieuses jusqu’à l’église. L’après-midi, il y avait un grand bal au casino à la Houillère, mais aussi chez Mignano et au dancing « Chez Charmy ». On dansait partout !

Comment étiez-vous soignés ?

Les soins étaient gratuits pour les mineurs et j’ai connu les docteurs Bouquet et Maulini.

Que faisiez-vous en dehors de la mine ?

On jouait au foot, c’était très important, on se baignait dans la rivière, on allait à la pêche et au bal en fin de semaine. A la maison, on faisait tous un jardin, on avait des volailles, des lapins, certains avaient un ou plusieurs cochons.

Que mangiez-vous ?

On mangeait de la bonne soupe, à tous les repas, beaucoup de pommes de terre, des plats d’ici : poule au pot, choucroute, pot au feu … pas de chocolat, ni de friandises, des fruits locaux – on allait à la maraude – je me souviens très bien de ma première orange. Mais il faut dire que pendant les années de guerre on a été malheureux

Pourquoi avoir quitté la mine ?

J’ai anticipé la fermeture. La menace que la mine allait fermer était de plus en plus forte. Après le service militaire, je suis allé travailler à la filature de Ronchamp où j’ai fait toute ma carrière.

A la fermeture, tout a été détruit très vite, démantelé, comme si l’EDF avait la volonté de gommer une histoire. Le docteur Maulini a récupéré beaucoup d’objets dans les familles mais aussi au tas d’ordures de l’Etançon.

Reste-t-il beaucoup d’anciens mineurs ?

Des hommes du fond, une trentaine sur le secteur de Ronchamp-Champagney et ailleurs, témoins directs de cette tranche d’histoire. »

 

Monsieur Rantic a épousé une fille de mineur polonais, Edwige Andrezyck ce qui l’a encore un peu plus lié à l’histoire de la région.

La séance s’est achevée en feuilletant un album de photographies apporté par l’ancien mineur, montrant ce qu’était Ronchamp au temps du charbon : une époque difficile mais dont les acteurs parlent toujours avec nostalgie.

 

Témoignage recueilli par les élèves de l'école du centre de Champagney le 14 mars 2005


Sur l'histoire des houillères de Ronchamp :

http://www.abamm.org/
http://www.abamm.org/ficpdf/docv05.pdf
http://www.ronchamp.fr/index.php?IdPage=1234881762
http://www.musees-franchecomte.com/index.php?p=313

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Le puits Sainte-Marie

Tag(s) : #Histoire locale
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