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"En classe, le travail des petits",  Jean Geoffroy (1823-1954)

"En classe, le travail des petits", Jean Geoffroy (1823-1954)

Le thème de l’école est très présent dans les délibérations du conseil municipal, d’autant qu’avant les lois Ferry de 1881, c’est la commune qui emploie et paie les instituteurs. En 1873, à Champagney, il y a des écoles au centre et dans tous les hameaux. Avec 5 000 habitants, les classes son pleines. Cette population nombreuse s’explique par la présence des mines de charbon et de nombreuses industries. La municipalité doit gérer les salaires des instituteurs, des institutrices, des adjoints et des maîtresses de coutures, entretenir les locaux, fournir le matériel d’enseignement, verser des indemnités. En effet, il arrive qu’elle récompense les enseignants qu’elle apprécie. L’affaire qui nous concerne est tout le contraire.

Avec la loi Guizot de 1833, les communes de plus de 500 habitants sont tenues d'avoir une école de garçons.  Sa loi fixe également un montant minimal pour le salaire des instituteurs (200 francs), leurs appointements payés par les communes étant jusque-là parfois très bas. La loi Falloux de 1850, cherche à développer l'enseignement primaire en imposant le principe d'une école de garçons dans toutes les communes et d'une école de filles pour « celles qui en ont les moyens ». Elle donne à l'Église catholique un droit de contrôle sur l'organisation, les programmes et la nomination des maîtres de l'enseignement public. En 1867, la loi Duruy organise l'enseignement primaire féminin, imposant l’ouverture d'une école de filles dans les communes de plus de 500 habitants.

En mai 1870, Champagney avait obtenu un deuxième instituteur adjoint pour occuper la fonction de clerc-chantre à l‘église (Le chantre remplissait, lors des offices religieux,  les fonctions de chanteur principal et de chef de  la chorale) « et aider dans ses moments de loisirs le premier adjoint à faire la classe.» Pour ce service, il recevait 500 francs fixe plus 100 francs pour sonner les cloches et le casuel (une somme attachée aux fonctions ecclésiastiques). Ces obligations religieuses étaient remplies par les maîtres d’école depuis l’Ancien Régime.

 

La délibération du conseil municipal du 16 septembre 1873 conte un différent entre plusieurs instituteurs, tout particulièrement Monsieur Duchanoy, et la municipalité, un différent lié justement à ces obligations religieuses.

 « La majorité du conseil municipal invite l’assemblée à faire connaître à l’autorité supérieure les faits qui viennent de se passer dans la commune et dont la population est exaspérée et indignée à juste titre … »

"Ecoliers",  Jean-Louis Martin des Amoignes (1850-1925)

"Ecoliers", Jean-Louis Martin des Amoignes (1850-1925)

Ce document nous apprend que les obligations religieuses – sonnerie des cloches de l’église, chant lors des offices - ont été respectées par les maîtres d’école jusqu’à l’arrivée, à l’automne 1873, de deux nouveaux adjoints.

« Aucun d’eux n’a voulu reprendre le service de l’église prétextant n’y être astreints ni l’un ni l’autre et exigeant une indemnité connue avant de commencer. Par cette mauvaise volonté, le service du culte n’a pas eu lieu pendant huit jours, ni chant ni sonnerie ne se sont fait entendre. La commune irritée de cette audace et ce défi méprisable de la part de jeunes gens arrivant pour prendre soin de la jeunesse, s’est entendue avec le clergé pour instituer un clerc-chantre qui est aujourd’hui en fonction.

L’instituteur Duchanois en arrivant à son poste dans la commune a repris le service de ses prédécesseurs par conséquent l’obligation de faire le second chœur à l’église les dimanches et jours fériés, mais il vient de cesser subitement de chanter, entraînant si ce n’est par ses conseils, au moins par son exemple, les instituteurs des sections dans la même voie.

Cet acte subit, de mauvaise volonté, a soulevé l’indignation de l’assistance à l’église, a troublé le recueillement, causé de l’agitation dans le lieu saint et fait perdre à cet instituteur toute la considération, l‘estime et la confiance que l’on avait pour lui. En agissant ainsi, il a méconnu son devoir, insulté l’autorité, donné le mauvais exemple à ses collègues subordonnés et à ses enfants. Invité et même supplié par l’autorité municipale de vouloir reprendre le chant, il a répondu nettement non … »

L’instituteur Duchanoy recevait 100 francs supplémentaires pour des cours qu’il donnait aux adultes ce qui lui faisait un traitement de 1200 francs (annuels). D’après le document, il prétendait ne plus être indemnisé pour les cours donnés aux adultes et disait le faire généreusement.

« Les cours de l’hiver dernier ont été faits par les adjoints et cette année il n’en est pas encore question. Le sieur Duchanoy cherche à se dégager de toutes ses obligations » lit-on dans les délibérations. Le conseil propose alors de réduire son traitement à 1000 francs.

« Le conseil considérant que les faits ci-dessus rapportés sont conformes à la vérité, que la coalition qui les a produits est l’œuvre du mépris et de la méchanceté, que le lieu où ils se sont passés publiquement en augmente la gravité et est une insulte à Dieu, que les instituteurs se sont mal comportés et ont donné un exemple funeste à la jeunesse, qu’ils ont perdu toute l’estime, la confiance d’une population de 5 000 habitants qui demande une sévère répression. Est d’avis que le traitement de l’instituteur Duchanoy soit diminué de 200 francs et ramené à 1 000 francs et demande le changement des deux adjoints actuellement en exercice. »

Le conseil décide également de supprimer l’emploi de deuxième instituteur qu’il considère devenu inutile et transforme son traitement en rétribution pour le clerc-chantre.

« L’instruction des enfants n’en souffrira nullement, attendu qu’il est reconnu qu’en été deux instituteurs peuvent facilement faire la classe au peu d’enfant qui la fréquentent et qu’en hiver on donnera un aide à l’instituteur adjoint, que la prétention que deux instituteurs adjoints sont continuellement nécessaires à l’école est mal fondée en ce que le nombre d’enfant n’est pas aussi grand qu’on le dit … »

En 1881, l’école deviendra laïque mettant fin à ce mélange des genres …

 

En forme d’épilogue

 

L’instituteur Duchanoy réapparaît dans les délibérations du conseil municipal à la date du 18 février 1877.

« Le sieur Duchanoy, instituteur à Jussey, avant à Champagney, sollicite la concession gratuite au cimetière du terrain de sépulture de quatre de ses enfants en compensation de la plantation d’arbres faite par lui dans le jardin de l’école des garçons pendant son séjour … Est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’accueillir cette demande, attendu que la plantation faite par M Duchanoy n’est profitable  à rien, que s’il lui a plu de cultiver des arbres au lieu de légumes dans le jardin communal, ses successeurs pourront bien ne pas l’imiter, à tel point que l’instituteur actuel demande déjà à enlever ces arbres sans doutes nuisibles aux plantes  potagères et encore ombrageux et improductifs.

Le conseil fait observer qu’avant de demander quelque chose à la commune, le sieur Duchanoy devrait réintégrer les ouvrages qu’il a encore de la bibliothèque scolaire de Champagney et donner à son successeur les indications nécessaires pour faire rentrer ceux prêtés aux habitants, en lui remettant les registres au complet et au courant. Le conseil ne s’oppose pas à ce que M Duchanoy vienne chercher ses arbres et qu’il en dispose comme il l’entendra, mais il exige que la bibliothèque soit complétée sans retard … »

Entre 1873 Jean-François Mathey et son conseil étaient à la tête de la mairie. En 1877, le conseil municipal conduit par Alexis Ruffier n’avait pas, on le voit, oublié le « sieur » Duchanoy – qui ne manquait pas de culot - et on appréciera l’humour des élus suggérant à l’instituteur de venir chercher ses arbres. On suppose qu’on en est resté là …

 

 

Quand les instituteurs ne voulaient plus chanter à l’église !
Tag(s) : #Histoire locale
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