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« Hier encore » la belle chanson de Charles Aznavour commence ainsi : « Hier encore, j’avais vingt ans », pour ma part j’irai plus loin, je dirais : « Hier, j’avais dix ans », tant l’enfance, dont on s’éloigne très vite puis, forcément de plus en plus, est un moment tellement décisif.

C’est ainsi que je me souviens.
 

Je me souviens

À la manière de Georges Pérec

 

Je me souviens de l’école, des maîtresses et des élèves, mes camarades d’alors.

Je me souviens qu’une fois, nous étions rangés pour sortir, j’avais marché sur les pieds de Mademoiselle Zeller et qu’elle n’avait pas aimé. Je me souviens de sa Simca blanche. Elle roulait vite, me semble-t-il, pour descendre au village et rejoindre l’école.

Je me souviens qu’à un retour de maladie, à l’école enfantine, j’avais tant bien que mal pu ressortir, à la maîtresse Mme Pernot, le mot de « rhino-pharyngite ».

Je me souviens qu’à l’époque Mme Coutherut nous emmenait faire pipi et qu’elle jouait également – traîtresse ! – le rôle du père fouettard. Je me souviens qu’on mettait l’élève puni, seul, dans la salle de jeux et que le père fouettard arrivait par la porte, située largement plus haut que le plancher, qui donnait sur le préau des écoles.

Je me souviens de Mme Bouduban, toute jeune institutrice avec une coiffure très années soixante. Sa classe était l’actuelle salle de réunions de la mairie et la récréation avait lieu sur la place.

Je me souviens de la blouse mauve de Madeleine Guyot, directrice de l’école. Je me souviens qu’elle était tombée de son estrade. Par terre, brutalement, cela avait été choquant. Très vite relevée, nous n’avions pas eu envie de rire.

Je me souviens, dans cette classe, du fourneau en plein milieu de la salle.

Je me souviens de Boffy, cette fois-là, caché sous sa table. Mme Guyot avait demandé : « Où est Boffy ? ». Celui-ci avait répondu bêtement : « Chez lui ! ». Quelle remontée à la surface ! J’entends encore le timbre de la voix de cette maîtresse.

Je me souviens que Madame Guyot, regagnait son appartement depuis une porte du couloir de l’école. Cette porte était mystérieuse car infranchissable et qu’elle donnait sur l’intimité de la maîtresse.

Je me souviens que beaucoup plus tard, devenu maître dans la même école, elle était passée et m’avait dit : « Ce ne sont plus les bons gosses de n’ot temps ! »

 

Je me souviens que j’avais commencé le CM1 dans la classe de M Bouduban – l’actuelle salle du conseil municipal -  et qu’au début de cette année-là l’école était devenue mixte. Nous nous étions alors retrouvés avec les filles dans la classe de Mme Guyot à l’école des filles.

Je me souviens que Bernard Maréchal s’était endormi sur sa table, que Georget m’avait pris ma casquette et qu’il l’avait plongée dans son pantalon. Quelle horreur !

Je me souviens du préau des écoles qui me semblait immense.

Je me souviens du bois coupé en tas dans la cour. Nous jouions avec pendant la récréation.

Je me souviens du dernier jour d’école et que la perspective des vacances – période dont on n’imaginait pas l’issue, ah, l’expression « grandes vacances » ! – nous remplissait de joie.

Je me souviens de la télévision qu’on pouvait regarder le mercredi soir et le jeudi après midi ainsi que le dimanche.

Je me souviens Petit théâtre de la jeunesse qui nous a fait connaître la Comtesse de Ségur, le Général Dourakine.

Je me souviens de Zorro le cavalier qui surgit du fond de la nuit, de Belle et Sébastien, de l’Age Heureux avec Delphine Desyeux, de Thierry la Fronde, de Belphégor, de la Piste aux étoiles présentée par Roger Lanzac, des Barios, de Denise Glazer qui recevait des chanteurs vers midi, d’Albert Raisner, et du Petit conservatoire de la chanson…

Je me souviens de la « Caméra explore le temps », de l’Affaire Calas et de celle du Courrier de Lyon.

Je me souviens d’Histoire sans parole diffusée le dimanche soir et qui montrait des courts métrages de Charlot. Je me souviens aussi du générique : une animation saccadée au rythme de la musique que je peux encore fredonner.

Je me souviens des conférences de presse du Général. Elles avaient lieu l’après midi, elles n’en finissaient pas et Théo, mon grand père, regardait la télévision dans un recueillement religieux en opinant du chef et en souriant. Il semblait vouloir rentrer dans le poste de contentement.  Le Général, ancien de 14-18, comme lui, était plus qu’une idole. A ces moments-là, Théo devait être gaulliste.

Je me souviens que Théo, donc Ancien de 14-18, parlait plus facilement de la débâcle que de la Première Guerre.

Pourtant, je me souviens qu’il racontait qu’il avait eu tellement peur au cours de la Première Guerre mondiale qu’il avait attrapé en réaction, de l’eczéma, un eczéma dont il avait souffert de longues années.

Je me souviens que le dimanche matin, Théo avait besoin de moi pour lui frotter le dos avec un gant imprégné d’eau de Cologne. Je le frottais vigoureusement et il aimait ça.

Je me souviens qu’après les repas il « tirait » dans ses dents avec la langue pour en retirer les débris de viande coincés. On lui disait d’arrêter, alors il faisait encore plus de bruit.

Je me souviens des images des « évènements » de mai 68 à la télé.

Je me souviens des premiers pas de l’homme sur la lune en juillet 1969. Nous étions en vacances chez des amis dans le Limousin. Seule la fille de la maison, une adolescente, avait assisté à l’événement en direct, au milieu de la nuit.

Je me souviens de la mort du Général de Gaulle et du numéro spécial de « Point de vue images du monde ».

Je me souviens des prés le long de la rivière traversés par deux sentiers parallèles, l’un issus de la passerelle, l’autre venu du village, côté gendarmerie. Les deux se rejoignaient pour n’en former plus qu’un seul qui arrivait à la cour de l’école.

Je me souviens, qu’un jour, des ouvriers sont venus pour planter dans ces prés des peupliers sur plusieurs lignes. Ils ont tous été coupés dans les années quatre-vingt pour la construction du lotissement des « Petits Graviers ».

Je me souviens que le lit de la rivière était très différent que de nos jours, qu’il y avait encore en amont et en aval de la passerelle beaucoup de gabions destinés à stabiliser les rives. Ces gabions ont tous été emportés par les crues du Rahin !

Je me souviens du tas d’ordures qui se trouvait au bord de la rivière et que les gens allaient là vider leurs détritus.

Je me souviens du canal qui apportait l’eau de la rivière à l’usine Pernot.

Je me souviens que pour aller à Belfort on attendait le car Citroën devant le refuge Renaud, un car beige et bordeaux. Ce voyage semblait une expédition. Aller à Belfort, en ville, était un événement, une joie. Nous y allions chez le pédiatre, le docteur Troncy.

 

Je me souviens du chauffeur du bus, de sa blouse, de sa casquette et de son mégot collé à la lèvre. Il lui manquait un ou deux doigts à une main.

Je me souviens qu’au retour, ma mère lui demandait de nous arrêter au niveau du fleuriste Jaccachoury et que systématiquement il disait : « Cachetasouris ».

Je me souviens que cet autocar était poussif dès que ça montait.

Je me souviens qu’en haut de Chalonvillars, la vue soudaine des blocs des Résidences, au loin, sonnait la fin du voyage et comme l’arrivée dans un autre monde : celui de la grande ville. Paradoxalement, c’était là le symbole de la ville moderne, mais jamais nous ne sommes allés aux Résidences !

Je me souviens des Nouvelles Galeries d’alors et des banquettes en skaï du bar où nous allions régulièrement faubourg de France (c’est aujourd’hui une boutique de téléphonie) boire un coup après avoir terminé nos emplettes. C'était "Le Lyonnais". 

Je me souviens que les salles de caté donnaient sur la scène de la salle Jeanne d’Arc.

Je me souviens de la fresque du chœur de l’église que je détaillais pendant la messe, fresque qui a disparu lors de la rénovation de l’église en 1978. Elle m’intriguait avec ses personnages figés et tout particulièrement l’homme au torse nu.

Je me souviens de la voix si grave de M Lalloz au chœur de chant.

Je me souviens que j’aimais l’offerte à la fin des enterrements ou de la messe. C’était une distraction qui permettait de voir qui était là.

 

Je me souviens qu’il y avait de la neige l’hiver et pas rien qu’un peu.  Avec Yannick et Serge Réau, on faisait de la luge sur la route sans aucun risque, le départ étant chez Anjoulbaut – Sous-les-Chênes – l’arrivée à la hauteur de chez Challand.

Je me souviens qu’on jouait  à la guerre avec Serge et Yannick Réau dans une sapinière au-dessus de chez eux. J’ai réalisé plus tard que les trous et boyaux dans lesquels on circulait avaient été creusés en 1944 par les Allemands.

Je me souviens de la pompe à essence Esso et de la blouse bleue de M François.

Je me souviens de Jean Baguet, le pharmacien, et de sa mère. Je me souviens du grand pèse personnes qui trônait dans leur pharmacie.

Je me souviens de Jean Baguet herborisant au milieu de la rivière à la recherche d’une plante sûrement intéressante.

Je me souviens de la pâtisserie Lalloz où l’on trouvait aussi des bandes dessinées bon marché. J’en avais une chaque dimanche, au retour de la messe : Zembla, Akim, Bleck le Roc, Kid Carson, Tartine…

Je me souviens des jours de Toussaint. Tôt le matin, depuis mon lit,  j’entendais le bruit des roues en fer des carrioles et des voitures à panier pleines de chrysanthèmes poussées par des vieilles femmes. Que des vieilles femmes me semblait-il.

Je me souviens d’Henri Syriès, le ferblantier qui venait changer quelques tuiles pendant les coups de vent.

Je me souviens de Marcel, le droguiste, chez lequel on achetait des carnets d’images à découper.

Je me souviens de la tondeuse du coiffeur Charpin et des cheveux qui filaient à coups de balai dans un placard en bas du mur.

Je me souviens de mes voisins : Mme Bardot et son fils Robert, Marius Mathey et de sa femme Marguerite. Ils étaient simples, gentils, souriants.

Je me souviens de Madame Didier, la sœur de Marius, qui habitait la même maison au bord de la route. Je lui portais le journal. Elle tremblait comme une feuille. Elle avait la maladie de Parkinson.

Je me souviens des anciens de Champagney : Mme Beaume qui ne souriait pas, Marius Marsot, Poulot Graffe et sa femme, Marie Lugbull, Germaine Guillaume, Charlotte Cordier, Marcel Bouteiller

Je me souviens de Bocli et de Dornand qui vivaient le long de la rivière. Bocli, handicapé, fabriquait des cannes en noisetier.

Je me souviens qu’à la fin, Émile Dornand, seul, s’était installé dans l’ancien lavoir derrière l’usine Pernot. Il venait, parfois, travailler au jardin chez nous. Ma mère lui mettait quelquefois un litre de vin à disposition. Au bout d’un moment, les deux avaient disparu.

Je me souviens qu’une fois Dornand avait mangé avec nous. Il avait trouvé le bifteck un peu dur. Malheureux ! Il avait entendu son nom et son prénom.

Je me souviens de la soutane noire du curé Caravati et de sa voix onctueuse. Pendant la dernière année du caté, celle de la grande communion, pour aborder le sujet des sentiments entre garçons et filles, il avait fait deux fois son cours en séparant justement garçons et filles.

Je me souviens que la famille Attard de retour d’Algérie habitait un logement de l’ancienne gendarmerie.

Je me souviens que les gendarmes avaient tous un jardin potager à l’endroit de l’actuelle gendarmerie.

Je me souviens que le docteur Bigey avait son cabinet non loin de la gare.

Je me souviens quand Fernand Simonin – un cousin - est arrivé à la maison en pleurant. On n’a pas compris tout de suite que son chien était mort.

Je me souviens de la camionnette Peugeot grise de Gilbert Chatel, le peintre.

Je me souviens du Musée de la Négritude lorsqu’il était installé dans l’actuelle salle du conseil municipal. René Simonin faisait les visites. Il parlait de tant de choses différentes que cela me semblait décousu et confus.

Je me souviens qu’une fois pendant la récré nous avions joué aux catholiques et aux protestants.

Je me souviens que ma tante Marie qui habitait au rez-de-chaussée, recevait l’après-midi ses sœurs Berthe et Jeanne et qu’elles jouaient aux petits chevaux avec un jeu qui datait du XIXème siècle. Elles rangeaient ce jeu dans une enveloppe faite en verquelure.

Je me souviens du carillon qu’on avait à la maison, c’était un Westminster, et j’entends encore la mélodie qu’il sonnait avant de sonner les heures.

Je me souviens quand on distillait. Théo ouvrait la fermeture carrée du tonneau rempli de poires écrasées, la fermentation bien avancée nous saisissait au nez.

Je me souviens que ma mère disait qu’en cas de tricherie les indirects pouvaient nous « faire vendre la maison » !

Je me souviens que lorsque les orages étaient méchants, la tante Marie qui habitait au rez-de-chaussée, montait vers nous avec son sac à main en attendant que sa passe.

Je me souviens qu’on allait au restaurant sous la digue du bassin. C’était Mimi Kibler qui nous emmenait en tant que taxi. Il buvait l’apéro avec nous : un pastis avec le la limonade à la place de l’eau.

Je me souviens que j’avais peur des « pince-oreilles », déjà rien qu’à cause de leur nom !

Je me souviens du "Petit train de la Mémoire" que la télé en noir et blanc lançait subitement en guise d'interlude. Chacun de ses wagons portait un élément d'un dessin qu'on ne voyait en entier que sur le dernier. Je me souviens aussi de la musique qui accompagnait ce petit programme.


Je me souviens de ...

 

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