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Lorsque j’étais enfant, le 1er janvier, je ne traînais pas au lit car une matinée chargée m’attendait. Après avoir souhaité la Bonne Année à ma mère, je filais chez le grand-père Théo qui n’était pas mon aïeul mais tout comme. Il était notre locataire, j’allais le rejoindre par une porte ouverte sur son appartement pour lui présenter mes vœux. Il me donnait un billet de 100 francs qu’il avait préparé pour moi, le premier de la journée. Je descendais ensuite chez la tante Marie où se déroulait la même opération avec le gain d’un deuxième billet de 100 francs.

Après cette entrée en matière prometteuse, je traversais la route pour aller chez René et Hélène Lassauge. Là, il fallait s’assoir et répondre à leurs questions. Au bout d’un moment, René sortait son porte monnaie et en extirpait un sympathique billet de 100 francs. Après avoir donné à ma visite une durée honnête, je quittais le couple et me dirigeais vers la maison où le docteur Bigey installera son cabinet médical, l’ancien hôtel Frechin où, au premier étage logeait la tante Berthe, sœur de la tante Marie. Même scénario : une pause, un échange suivi du don d’un nouveau billet de 100 francs. Tout le monde disait "tante Marie", "tante Berthe", "tante Germaine", "tante Julia" ... pour ce qui me concerne, c'étaient, en réalité, les sœurs de la grand-mère "tante Jeanne" !
La station suivante avait lieu dans la petite maison située juste après le Pré Serroux. Là, m’attendaient deux billets de 100 francs, l’un offert par Alexis Ganze, le gendre de la tante Marie, l’autre par Mademoiselle Lejeune qu’on appelait la « Pucenotte ». Elle était encore couchée et me tendait la jolie coupure du fond de son lit. Elle me disait quelques gentillesses d’une voix pointue et j’embrassais sa joue fanée. On la voit, jeune fille endimanchée, une ombrelle à la main, en balade le dimanche à Champagney photographiée vers 1900 par Eugène Mozer, l’époux de la tante Marie. Ces deux images à l’extrémité de la même vie m’interpellent sur la fragilité des choses.
Deux maisons plus loin, éclatait un second coup double : premier temps avec le présent de mes vœux à la Guiguitte, Marguerite Perret, une cousine de ma mère Hélène Boileau et une réplique au rez-de-chaussée chez Emile et Madeleine Mozer, les propriétaires de Guiguitte, de surcroît de lointains parents. J’écoutais toutes ces personnes d’un autre temps, des femmes bavardes alors qu’Emile, gros homme taciturne était toujours attablé, entouré de journaux spécialisés, occupé à « préparer son tiercé ».
Enfin, lorsque que je jugeais que le temps que je pouvais leur consacrer était écoulé- je n'avais pas que ça à faire ! -, je prenais congé et gagnais la ferme de mes grands-parents Joseph et Jeanne Jacquot, à la Bouverie, où un dernier billet de 100 francs m’attendait pour clore la première déambulation de l’année. Au départ de ce périple lucratif, j’étais chargé des boîtes de chocolat à déposer chez chacun et chacune. Au retour, léger comme l’air de janvier, je rentrais d’un bon pas, heureux et pas surpris d’avoir été comblé, pressé de compter les effigies de Corneille récoltées aussi facilement.

J’aimais le premier janvier …

 

Le jackpot du Nouvel An
Tag(s) : #Textes et nouvelles
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