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Les débuts d’Ellrich

 

Dora

 

 

Dora, Dora

Est-ce un chien ?

Est-ce un chat ?

Est-ce un nom de fleur ?

Est-ce un nom de femme ?

Quel plaisir on aura,

Quand on quittera Dora ?

 

 Anonyme

 

Ellrich blocks 1 et 2 

Entrée des blocks 1 & 2 du camp d'Ellrich, en 1954.


      Du 17 au 18 août 1943, l’aviation britannique bombarde la base de Peenemünde sur la mer Baltique. C’était là que depuis 1936, les Allemands procédaient à l’étude et aux essais de fusées.

      A partir de cette date, ils savent que cette base n’est plus sûre et qu’il faut installer l’usine ailleurs, à l’abri des attaques aériennes. C’est Hitler lui-même qui prend les deux décisions lourdes de conséquences pour des milliers d’hommes : installer l’usine qui appartiendra à une nouvelle société – la Mittelwerk - dans un souterrain existant, celui du Kohnstein, et n’y utiliser qu’une main-d’œuvre concentrationnaire encadrée par des civils allemands.

      C’est pourquoi, à la fin d’août 1943, le camp de Dora est créé en Thuringe au moment où on aménage le « tunnel » de Dora pour la construction des V2. D’importants chantiers souterrains et ferroviaires sont ouverts au printemps de 1944 dans les environs.

      C’est le SS Hans Kammler qui est chargé d’enterrer l’industrie aéronautique. Il s’agit de creuser les souterrains du B3, B11, B12 et du B17 et de réaliser les infrastructures extérieures du B13.

      La main-d’œuvre vient de Buchenwald et, entre mars et juin 1944, sont envoyés là des déportés des derniers convois venus de France et de Belgique. Mais il n’y a pas assez de place à Dora à cette époque où la construction du camp se termine. Il faut donc envisager l’implantation de nouveaux camps secondaires tout autour.

 

Les camps les plus importants autour de Dora sont Ellrich et Harzungen dont la main-d’œuvre sera occupée aux mêmes chantiers et dont le développement sera simultané dans les premiers mois à partir des mêmes convois venus de Buchenwald. Le camp de Woffleben sera plus tardif, construit dans les derniers mois pour loger une partie des détenus d’Ellrich travaillant au B12.

dorasmall

 

      Le camp d’Ellrich est créé en mars 1944 sur une friche industrielle dans les bâtiments abandonnés comme nous l’avons déjà dit, d’une fabrique de plâtre (Gipswerk) , la société Kohlmann, auxquels seront ajoutées, après quelques mois, des baraques ordinaires. Il est situé à proximité de la gare d’Ellrich au sud de la ligne de chemin de fer Herzberg à Nordhausen.

      Le 9 mai 1944, le rapatriement des 724 détenus du Kommando de Bischofferode, constitue la base de la population du camp. Ce sont des Polonais et des Russes. Il y a aussi quelques Français. A la fin du mois de mai, les effectifs se montent à 1696, puis 2880 fin juin, 4104 fin juillet, 6187 fin août, 8189 fin septembre. Ensuite, à cause de l’accroissement de la mortalité, le nombre de détenus va diminuer. Il y a 7957 détenus fin octobre, 6571 fin janvier 1945. Le 3 mars, 1602 prisonniers dits « inutilisables » sont évacués sur la Bœlcke Kaserne de Nordhausen puis sur Bergen-Belsen. Nous en reparlons.

 Ellrich blocks 7 à 11

Avril 1954, cérémonie aux blocks 7 à 11 à Ellrich (photo Robert Lançon).


A Ellrich, il y a des prisonniers de toutes nationalités : des Polonais, des Russes, des Tchèques, des Français, des Belges, des Juifs Hongrois, des Tsiganes.

 

Le Camp se trouve sur une partie à peu près plate sur laquelle se dressent les bâtiments. La partie sud est dominée par une colline qui est dans le prolongement du Kohnstein, le massif percé de souterrains. Une partie de la plaine est sur le territoire de la commune d’Ellrich, l’autre ainsi que la colline, sont sur le territoire de la commune de Walkenried. Les bâtiments qui abritent les SS se trouvent sur cette commune alors que le camp est situé à Ellrich.

      Ellrich sera rattaché en 1648, par les traités de Westphalie au Brandebourg, devenu par la suite royaume de Prusse. Walkenried appartiendra pendant des siècles au duché de Brunswick. C’est cette limite qui, en 1945, servira, dans ce secteur, à distinguer les zones d’occupation soviétique et britannique, puis la RDA et la RFA.

 

      Au commencement, il faut transformer en Blocks les bâtiments industriels existants, puis monter de nouvelles baraques pour les détenus et les SS, édifier la clôture, le tout très vite, en quelques mois. Le 1er mai 1944, un premier bâtiment en brique et colombage, est occupé et partagé en trois Blocks, 1, 2 et 3 avec des entrées distinctes. Les détenus dorment par terre, puis des châlits sont dressés. Fin mai, un second bâtiment, situé derrière le premier, devient le Block 4, misérable hangar transformé.

      Au pied de la colline, se trouve un marais, le Kleiner Pontel. C’est à la même époque que les SS décident de le faire combler par les prisonniers. Il faut d’abord arracher les roseaux, puis le remblayer avec des pierres que les détenus doivent apporter avec eux lorsqu’ils rentrent de leurs chantiers.

ellrichbatimentellrichEllrich : vestiges du bâtiment qui abritait les "cuisines".

      Un témoin se souvient des débuts d’Ellrich : « Toute une étendue était plantée de blé. Nous étions 500, les premiers, pour former le camp d’Ellrich. Les camionnettes nous ont amenés ici. C’était en avril, le lundi de Pâques. Comme premier travail, il a fallu nous disperser dans l’immense champ et piétiner tant que ça pouvait. Des tracteurs étaient venus à la rescousse pour achever la destruction, et cette scène a certainement été pour moi la plus belle illustration de l’époque de folie dans laquelle nous vivons. Dans la gare de Woffleben, des trains de matériel attendaient… Des chemins ont été tracés, la rivière, qui serpentait le long de la montagne et qui aurait gêné pour l’ouverture des tunnels, a été détournée, et d’un coin tout ce qu’il y a de riant, ils ont fait un enfer. ». (1)

Après un premier aménagement sommaire du site, les détenus sont répartis sur les différents chantiers. D’après un document de l’Arbeitseinteilung, le 29 janvier 1945, sur un total de 4280 prisonniers au travail, il y en avait 333 employés à l’intérieur du camp, 669 au souterrain B3 à Bischofferode, 599 au B13, 1389 au B12 à Woffleben, 576 au B11 à Niedersachwerfen, 309 au B17 et 336 autres répartis dans des Kommandos variés.

 

Le travail est très dur partout et les conditions de transport entre les camps et les chantiers sont pénibles. Les détenus qui travaillent au percement des galeries se répartissent en deux « Schicht » de douze heures, puis en trois « Schicht » de huit heures chacune. Ceux employés à l’extérieur travaillent douze heures. Ces derniers sont occupés à décharger des wagons de briques, de sacs de ciment, de rails, de machines ou à des travaux de terrassement et de voirie. Ce sera le lot de Lucien. Dehors, chaque jour, par tous les temps, ils sont parmi les plus défavorisés et en arrivent même à envier les postes de mineurs.

« Le travail ne devait jamais s’arrêter, même quand parfois la main-d’œuvre était pléthorique » se souvient Jacques Brun «  Des rails ou des briques déplacés toute une journée, étaient le lendemain replacés d’où ils venaient. Il fallait aussi rapporter des pierres au camp pour combler la partie marécageuse. »

 

Nous avons vu que Lucien arrive à Ellrich en novembre 1944. S’il n’a pas vécu les premiers mois de cet endroit, il va connaître des moments qui n’ont rien à envier à la première période, il va vivre le plein fonctionnement du camp, être le témoin de la folie meurtrière de l’encadrement, la famine, la déchéance physique et morale de ses compagnons, le crime final de l’évacuation au printemps de 1945.

 (1) André Sellier, « Histoire du camp de Dora », éditions La Découverte – 1998

Début de l'histoire : Partir pour l'Allemagne ! - 1 - A Magny-Vernois

Dédicace : Partir pour l'Allemagne ! - dédicace

Lire la suite : Partir pour l'Allemagne - 10 - Le travail

Tag(s) : #Partir pour l'Allemagne ! livre
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