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Ce qu’exprime ici François Cavanna dans son quatrième livre de souvenirs « Les yeux plus grands que le ventre » me touche infiniment.

Vieilleries

« Ne pas être un vieux con est en 1980 plus difficile que jamais. Carrément impossible si l’on est né avant les années cinquante.

Quand j’étais enfant, dans les années trente donc, il existait un référentiel universel pour le rococo : 1900. On disait : « C’est du 1900 », ou : « Ҫa date de 1900 », avec un mépris amusé. Ҫa nous semblait infiniment loin, et surtout infiniment démodé, démodé jusqu’à l’incompréhensible. Ces énormes moustaches en guidon de course, ces chapeaux haut-de-forme ou melon, ces faux cols en celluloïd, ces bonnes femmes étranglées dans des corset à baleines, au triple fessier renforcé d’armatures étagées, aux chapeaux vastes comme des places publiques et garnit comme des étalages de fleuristes, de marchands de légumes et de gibier à la veille de Noël, ces fiacres, ces lampes à pétrole, cette surabondance de moulures et de volutes dans l’ornementation du moindre objet, tout cela nous paraissait du plus haut comique, une espèce de décor cocasse pour chanteur tourlourou. Les photos de familles de nos parents nous faisaient bien rigoler. Va donc prendre ces guignols au sérieux, toi !

Et voilà que je m’avise que ma jeunesse à moi se situe à une époque bien plus éloignée, bien plus invraisemblable pour ceux d’aujourd’hui que l’ « époque 1900 » ne l’était pour nous. « 1900 » a pris fin vers 1920, lorsque l’automobile et les sèches géométriques de l’Art Déco eurent définitivement triomphé. Mais nos enfances furent longtemps encore encombrées d’objets des époques antérieures. Surtout les enfances pauvres. Les moulins à café en bois, les boîtes à épices de tôle décorée, les papiers peints et même les affiches, ces affiches géantes en zinc, inusables, qui couvraient un pignon d’immeuble du haut en bas, portaient la marque rococo et ne cédaient la place que peu à peu devant les modes nouvelles. L’époque était bâtarde, comme toutes les époques l’avaient été jusque-là, et les objets vieillots, bâtis pour défier les siècles, nous étaient compagnons familiers, pas su tout attendrissantes pièces de musée. […] »

Tout ceci me touche, pas parce qu’on pourrait transposer sa première phrase à aujourd’hui : « Ne pas être un vieux con est en 2016 plus difficile que jamais », c’est la référence à 1900 qui réveille en moi les réactions des « Anciens » qui m’entouraient lorsque j’étais moi-même enfant, ils utilisaient également cette expression de : « c’est du 1900 » dans les mêmes circonstances. Nous-mêmes, les jeunes, l’utilisions pour ce qui nous semblaient des … vieilleries.

Aujourd’hui on ne dit plus rien à propos de ce qui date un peu, puisque rien ne date : on change, on renouvelle, on est au top …

 

Cavana et Wolinsky à la bibliothèque de Belfort le 28 octobre 2000

Cavana et Wolinsky à la bibliothèque de Belfort le 28 octobre 2000

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