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ENFANCE POLONAISE

 

A l’école nous travaillons sur l’histoire des mines de charbon de Ronchamp. Fait partie de cette histoire, celle des Polonais arrivés dans le secteur à partir de 1920. C’est pourquoi, pour en savoir plus sur la communauté polonaise, nous avons reçu à l’école une personne d’origine polonaise, Hélène Szymanska (Szymansky au masculin) - Madame Hélène Berthel du Beuveroux - née à Ronchamp le 20 juillet 1931.

Elle nous a parlé de cette communauté, de son enfance et de la mine.

 

 

Parlez-nous de votre mère :

Ma mère, Karolina Pucklachar est née en 1900 près de Cracovie, l’ancienne capitale de la Pologne. Lorsqu’elle était enfant, sa région la Galicie dépendait du régime austro-hongrois. Elle est décédée en 1988.

 

Votre père :

Mon père se prénommait Michał (Michel). Il est né le 1er octobre 1901, près de Lvov la capitale de l’Ukraine. C’était en Pologne à l’époque. Il est mort de la silicose à l’âge de 69 ans. Ses poumons étaient durs comme du charbon. 69 ans c’était vieux pour un mineur, ils mouraient plutôt autour de 55 ans. Il a beaucoup souffert les dix dernières années de sa vie, ne pouvait pas respirer et, les dernières années, restait couché tout le temps. Pour prouver qu’il était bien mort de la silicose, il a fallu faire pratiquer une autopsie.

 

Quels étaient vos frères et sœurs ?

Nous étions cinq enfants. Deux garçons – Wladislas et Jan – et trois filles : Maria, Anna et moi. Wladislas qui avaient 9 ans à son arrivée en France travaillera à la mine à l’âge de 13 ans. Jan travaillera à la fonderie Laurent de Ronchamp.

 

Berthel-H-4.jpg

En 1947, au puits du Magny, la communion de Jan

Assis, de G à D : Hélène, sa mère, son père, Adèle (épouse Wladislas)

Derrière : Lucien Berthel, Louis Bilquez, Anna, Jan, Maria, Louis Marsot (son époux) et Wladoslas.
La petite fille est Danielle, fille du couple Wladislas
 

Quand votre famille est-elle arrivée en France ?

En 1929, c’est à dire à la fin de la période d’immigration. Toute la famille ensemble, mes parents et trois enfants à l’époque (Wladislas, Maria et Anna). Ils sont arrivés à Toul et se sont retrouvés à Ronchamp par hasard.

 

Que faisaient vos parents en Pologne ?

En Pologne, mon père était chez des maîtres, il s’occupait des chevaux. Ma mère était nurse, elle allaitait les enfants de gens riches. Lorsqu’ils étaient sevrés, il fallait trouver d’autres nourrissons. En fait, ils n’étaient pas sédentaires et changeaient souvent d’employeurs. Ils étaient payés en nature. Ils ne toucheront leur première paye qu’en France.

 

Pourquoi avoir quitté la Pologne ?

Là-bas, c’était la misère et, la France qui avait perdu tant d’hommes pendant la guerre de 14-18, avait un grand besoin de main-d’œuvre.

 

Avez-vous encore de la famille en Pologne ?

Mon frère Wladislas y est reparti en 1948. Il a une descendance. Ils sont déjà venus en France et nous correspondons. Personnellement, je n’y suis jamais allée et je le regrette. J’y pensais moins autrefois, mais avec l’âge, j’ai des regrets. Il s’agit quand même de nos racines, même si je suis née en France. Wladislas est décédé en 1973 victime de la silicose.

 

Vous souvenez-vous de vos voisins ?

Nous habitions la cité du puits du Magny, route de Clairegoutte. Je me rappelle de M et Mme Moczak et de M et Mme Luczak.

 

Comment étiez-vous logés ?

Dans une baraque, une maison en dur tout en longueur, vivaient quatre familles. On disposait de quatre belles pièces par famille. On avait aussi un sous-sol et deux caves. Les WC se trouvaient dehors. Quand mes parents sont arrivés, ils ont eu des lits en fer avec une paillasse. Mon père qui était adroit a fabriqué d’autres meubles.

 

Votre père gagnait-il bien sa vie ?

Il la gagnait bien en comparaison de ce qu’ils avaient en Pologne. Mais les Polonais n’avaient pas les mêmes allocations pour les enfants que les Français. Aussi, en 1939, toute la famille s’est fait naturaliser.

Mon père déposait sa paie sur la table de cuisine. Ce sont les femmes qui géraient. Le jour de la paie, ils allaient faire les courses. Il y avait beaucoup de commerçants ambulants : pour les vêtements, la nourriture, le pain, la boucherie, jusque pendant les années quarante.

 

Que faisait votre père en dehors du travail de la mine ?

Il aimait être du matin, il était boiseur au puits Arthur. Alors, l’autre partie de la journée, il allait travailler dans un champ loué à Clairegoutte. On y cultivait des pommes de terre et des haricots. Pour améliorer l’ordinaire, il élevait aussi quelques volailles et des lapins. Il allait aussi aux champignons.

 

Quels sont vos souvenirs de l’école ?

L’école n’est pas un bon souvenir car, comme dans la cité, nous n’étions qu’entre polonais. Plus grande, j’ai réellement ressenti cela comme de l’exclusion.

Cette école, qu’on appelle maintenant l’école polonaise mais dont les enseignants étaient des maîtres et maîtresses de l’école publique française, se trouvait dans un grand bâtiment situé après le restaurant « la Pomme d’or ». J’étais dans une classe à tous les cours d’au moins 45 filles et la maîtresse était Mme Henriette Millerin. On rentrait à l’école à l’âge de sept ans. Après l’école, nous nous retrouvions ensemble dans la cité. L’apprentissage du français a donc été difficile. Il n’y a qu’au fond de la mine que Français et Polonais étaient mélangés.

Nous étions donc bien meilleurs en polonais qu’en français. Tous les enfants parlaient et lisaient le Polonais. A la maison, nous avions des livres en polonais, des récitations, des chansons. En plus l’association polonaise organisait des spectacles, des fêtes et des bals.

Ce n’est qu’après la guerre (1945) que les enfants polonais rejoindront les jeunes Ronchampois à l’école. C’est bien dommage que ce mélange n’ait pas eu lieu plus tôt.

 

  Berthel-H-5.jpgL'école polonaise vers 1938

A partir de la gauche, de bas en haut : au 1er rang, la 2ème fillette - en sombre - est Hélène ; au 3ème rang, la 1ère est Anna ; au 4ème rang, la 6ème est Maria. Il y a là également des filles d'Eboulet.
 

 

Quels sont vos souvenirs d’activités à l’école ?

On y faisait des dictées, de la lecture. Les grandes filles faisaient lire les petits. J’aimais lire. La bibliothèque de la classe avait peu de livres, alors on les lisait et relisait : « Les Malheurs de Sophie », « Sans famille »…

Je me rappelle de sorties en forêt, de récoltes de glands, de violettes, de digitales destinées à la vente. C’était pendant les années quarante.

 

Qu’est-ce qu’était l’école polonaise ?

Pour moi l’école polonaise en tant que telle n’existait pas. C’est après l’école officielle que de temps en temps, le soir, peut-être une fois par mois, intervenait un maître polonais payé par la communauté polonaise. Il était itinérant. Aux petits, il apprenait à lire et écrire le Polonais. Cette école n’était pas obligatoire et on s’y retrouvait très peu d’élèves. Ces cours se déroulaient dans les mêmes locaux que l’école habituelle.

 

Qu’avez-vous fait après l’école ?

A quatorze ans je suis allée travailler au tissage de La Côte. J’y allais à pied. Je n’ai pas travaillé à la mine. Mes deux sœurs travaillaient au triage. C’était très pénible. Il n’y avait pas de douche, elles rentraient toutes noires à la maison.

 

Quelles étaient les occupations des enfants en dehors de l’école ?

A cette époque les enfants n’avaient pratiquement pas de jouets. Ma sœur avait un baigneur en celluloïd. Un jour, au Morbier, sur un tas d’ordures j’ai trouvé une poussette rouillée, je l’ai récupérée.

En fait, les enfants travaillaient. Nous récoltions du bois mort, nous avions la corvée d’eau. Le puits ne donnait pas d’eau potable, alors, il fallait aller à la source située à 400 mètres. On puisait l’eau avec des brocs et des seaux. On essayait de se défiler de cette corvée. On devait aussi aller ramasser des petits morceaux de charbon en bas des terrils. C’était interdit. Si le garde nous surprenait, il prenait nos sacs et les vidait.

Tous les trois mois, nous recevions une ration de charbon et une de schlamm (pâte faite de poussière de charbon). Le charbon glané sur les terrils permettait à nos parents de vendre quelquefois une ration du charbon octroyé par les Houillères.

En échange de la récolte de bois mort tolérée, un jeudi par an, nous allions au Chérimont avec une petite pioche et un casse-croûte désherber le jardin (plantations de jeunes arbres) des gardes forestiers. On l’appelait le « jardin des gardes ».

 

  Berthel-H-3.jpg

Le mariage Sojka en 1936
Les parents d'Hélène sont assis à droite, Anna est la fillette qui tient le voile de la mariée.

 

Mais quels étaient vos jeux ?

On habitait tout près du puits. Il y avait un chantier plein de bois, un dépôt pour le boisage, des terrils et des charrettes. On jouait là même si c’était défendu, garçons et filles. On jouait sur la route, les marelles étaient dessinées sur la route même. Il y avait très peu d’autos : celle du directeur du tissage de Clairegoutte, celle du directeur de la mine.

Lorsque les mineurs quittaient leur travail, ils étaient tout noirs, on s’amusait à deviner qui c’était.

On visitait les puits, on y cueillait des mûres et des fraises. On allait jusqu’au puits Arthur et autour de la centrale électrique.

On savait tous nager. On avait appris dans l’étang du puits. On allait se baigner dans le Rahin, là où la centrale rejetait de l’eau chaude. On avait des maillots de bain

 

tricotés qui étaient lourds une fois pleins d’eau. On grimpait aux arbres, on y accrochait de grandes balançoires avec des câbles de la mine. Elles montaient très haut, c’en était même dangereux. On allait aussi tous à la pêche à l’étang ou à la rivière. On se promenait en forêt, on montait à la chapelle.

 

Que mangiez-vous ?

La pomme de terre était l’aliment principal. Le lait aussi. On allait au lait à Clairegoutte chez un fermier et à la laiterie à Ronchamp.

Nos repas préférés étaient faits de choses très simples, beaucoup de recettes polonaises faites à base de pommes de terre. Un exemple de plat principal : les « pierogis », des espèces de raviolis fourrés de myrtilles. Pour se désucrer la bouche on mangeait du fromage. Il y avait aussi des chaussons à la choucroute et aussi le bortch, une soupe d’origine russe – sorte de pot au feu – avec des betteraves rouges et la viande qu’on avait sous la main, lapin, bœuf ou porc. On faisait des gâteaux polonais aux prunes et des roulés aux pommes ou aux pruneaux secs.

 

Vous souvenez-vous d’amis de ce temps-là ?

Oui, bien sûr. Des Polonais comme les Mirka ou le violoniste Lesnianski. Il a fallu le catéchisme pour rencontrer des Ronchampois. Mes meilleures amies sont parties. En 1947-1948, beaucoup de Polonais, comme mon frère, beaucoup de jeunes, à l’appel du gouvernement polonais sont rentrés pour reconstruire leur pays.

 

 

Berthel-H-2.jpgLes jeunes des deux baraquements du puits du Magny dans les années quarante.

Hélène est debout, la 2ème en partant de la gauche; Anna est la 4ème, Maria la 6ème et Jean (au béret) est assis devant. Ce sont tous des Polonais sauf une famille alsacienne.

 

Vous souvenez-vous d’accidents à la mine ?

Nous avions très peur quand on voyait monter une ambulance. Je me rappelle la mort d’un jeune homme victime d’un éboulement. Les éboulements étaient nombreux car le puits du Magny était ancien.

Je me rappelle très bien de la catastrophe de l’Etançon de Noël 1950. L’un des quatre hommes noyés, Louis Bilquez était le mari de ma sœur Anna.

 

Les Polonais étaient très croyants ?

Catholiques, très pratiquants. Mes parents étaient arrivés avec, dans leurs malles, des images pieuses de grands formats. Nous n’allions pas nous coucher sans dire notre prière devant ces images.

 

Bonjour : Dzieň Dobry Au revoir Do Widzenia

 

 

Témoignage recueilli par les élèves de l'école du centre de Champagney le 11 février 2004
Tous les documents : Hélène Berthel

 

  http://www.abamm.org/sulkowice.html

 

  Berthel-H-1.jpg

    L'acte de naturalisation de la famille Szymanski
 

Tag(s) : #Mines de Ronchamp
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