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Le geste de Christine Renon, directrice d'école de Pantin qui a mis fin à ses jours, nous interpelle tous. Elle a mis en cause « la surdité de la hiérarchie et l'absurdité de ses conditions de travail ». « Elle évoque les demandes sans queue ni tête, les tâches chronophages, les incidents avec les familles... »

Qu’est-ce que cette société où le travail conduit les gens à se détruire ? On a en mémoire les suicides à France Télécom, on sait le nombre d’agriculteurs, de policiers, d’agents ONF qui mettent fin à leurs jours … Là, c’est une directrice d’école qui a commis le geste définitif, une personne d’expérience – elle avait 58 ans ! – professionnelle et engagée. Qu’est-ce que cette société où même l’école qui devrait être le dernier refuge est, elle aussi, bouffée par le libéralisme, car c’est bien de cela qu’il s’agit !

J’ai connu le temps – années quatre-vingt – où la direction d’une école, j’exagère à peine, se limitait à renseigner en septembre l’enquête « lourde », une liasse de feuillets, sorte de photographie de l’établissement. Puis, le directeur s’en retournait à son cœur de métier : enseigner. J’ai connu l’époque où il n’y avait pas de téléphone à l’école. Il n’y en avait pas besoin, l’inspection départementale communiquait par courrier (des enveloppes timbrées fournies par le directeur en début d’année). Puis, une cabine téléphonique est venue monter la garde devant l’école, puis un téléphone à cadran y a pénétré. Ce fut le début du dérangement. Désormais la hiérarchie vous téléphone quand vous faites la classe ! Et que dire de la dérive sécuritaire, au moindre bobo, à la moindre plainte, il faut téléphoner aux parents – puisque l’enseignant n’est pas médecin – pour se couvrir, pour ne pas s’entendre dire : « J’aurais aimé être prévenu ! »

Tout s’est accéléré avec le progrès technique pour arriver aux « technologies modernes ». Paradoxalement, l’informatique a tout pourri. Elle a permis à des désœuvrés de pondre une multitude de bordereaux qu’ils ne réalisaient pas, auparavant, à la main. Le summum fut de recevoir un jour des « outils » - ce terme est symptomatique de cette dérive libérale qui a fait basculer l’école dans le monde de l’entreprise – pour aider à la réalisation d’une liste électorale pour les élections de parents d’élèves. Cette aide était d’autant plus idiote qu’il y avait bien longtemps déjà que le logiciel de gestion officiel et obligatoire permettait en toute logique de créer cette liste électorale. Je me rappelle que par retour du courrier – électronique – j’avais envoyé à l’inspection académique un STOP ! gros et gras – partagé en même temps avec toutes les écoles de la circonscription.

Lorsque j’ai « pris » la direction en 1999, les choses allaient encore, même si le temps des « projets » était déjà commencé, les « projets » imposés par le haut, c’est-à-dire des bordereaux à remplir et des activités factices à imaginer. Ces « projets » n’empêchaient pas bien sûr les vrais, ceux conçus par les enseignants car ils correspondent à leur pédagogie. Cette dérive s’est accélérée. Je me rappelle bien ma philosophie, me débarrasser de ces contraintes en remplissant cette paperasse numérique vite et parfois mal, tel le mauvais élève qui bâcle ses devoirs pour aller jouer. Sauf qu’ensuite, je n’allais pas jouer mais faire mon travail, le vrai … Très rageant qu’on vous fasse perdre votre temps avec des choses inutiles lorsque vous avez des choses sérieuses à faire.

Le drame de la direction d’école, c’est que le directeur qui a la responsabilité d’une classe, a vu, peu à peu, sa vocation d’enseignant bouffée par l’administratif. Faire des listes de niaiseries à faire, rayer quand c’est fait, puis refaire une autre liste. En même temps, le directeur, la directrice, est seul(e). On ne voit pas d’ailleurs pourquoi il partagerait ses soucis avec ses adjoints, ceux-ci sont contents que la direction soit occupée et il en est qui pensent que c’est bien normal que cela soit au directeur de faire ceci ou cela, qu’il est payé pour et que s’il est directeur, c’est qu’il l’a bien voulu. Je dis cela d’autant plus librement que je fus adjoint de nombreuses années.

Le directeur est l’interlocuteur de tous – et c’est bien normal – et l’homme à tout faire. Si déboucher les WC, histoire que cela soit fait rapidement, ou dégeler la serrure du portail à l’eau chaude en hiver, tôt le matin, pour ne pas être surpris à 8 h 20 furent des actions banales, être menacé du classique : « Je vais porter plainte ! » ne l’est pas ! Il m’est arrivé de faire une main courante en gendarmerie à « titre préventif ».

La gestion des conflits restera la part la plus pénible de la fonction même si j’ai acquis dans ce domaine un certain savoir-faire. L’alternance de stress et de soulagement fait partie de cette fonction. Elle est liée au fait que les gens préfèrent écrire des courriers assassins plutôt que de venir vous parler. Par exemple, je n’ai pas oublié ce matin où, à l’ouverture de l’ordinateur, j’ai compris, après un moment de flottement, que des parents avaient envoyé à l’inspection des photos des jambes meurtries de leur fille suite à des coups donnés par un camarade. Tout s’est arrangé après réunion et échanges entre toutes les personnes concernées. Mais, il y a la manière …

Les directeurs d’école qui sont en première ligne (contrairement aux responsables des collèges et des lycées) n’ont toujours pas de statut. Ils n’ont pas été formés à cette double dérive : comportement irrationnel de certains adultes et folie administrative. Aussi, si la mort de cette collègue est d’une violence extrême, si ce geste est anormal, je pense tristement que son quotidien à l’école a été la cause de cette tragédie.

Dessin : Christophe Tardieux

Suicide collectif
Tag(s) : #Textes et nouvelles
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