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Lorsque Jean Perret était directeur de l’école du centre à Champagney, la surveillance des récréations se faisait d’une façon que je ne revis plus jamais ensuite.
Les maîtres et maîtresses, il y avait alors presque la parité, déambulaient sur deux lignes parallèles en se faisant face ; en réalité deux regardant les trois autres. Ainsi, théoriquement, rien de ce qui se passait dans la cour n’échappait à leur regard. Jean Perret n’avait pas imposé cette déambulation – il aurait été le dernier au monde à imposer quelque chose à ses congénères –, cette façon de faire était ancienne.
C’était problématique, surtout pour les nouveaux qui n’avaient pas d’expérience. En effet, lorsqu’on arrivait au fond de la cour, ceux qui marchaient en avant ne faisaient pas demi-tour. Ils repartaient à reculons, ce qui n’est pas, avouons-le, naturel. Même si les élèves évitaient le groupe, le risque d’une collision n’était pas nul.

Tout à coup, le directeur se rappelait qu’il avait telle chose à faire. Il ramassait alors un caillou qu’il mettait dans sa poche ; sa découverte devant plus tard lui rappeler la tâche à accomplir. L’histoire ne dit pas si le système était efficace et combien de silex sont partis dans la machine à laver.
Lorsqu’une gamine venait se plaindre d’un garçon, le directeur lui disait invariablement : « Reviens dans une paire d’années, il n’y aura plus de problèmes ! », sous entendant ainsi que, prochainement, elle devrait être enchantée des approches de l’autre genre. Ce n’était pas une manière de rabrouer l’élève qui ne pouvait pas comprendre – quoiqu’une CM2 plus délurée le puisse peut-être –, c’était une gestion rapide et efficace de ce type de plaintes. Béatrice Nérich, elle, procédait à l’opposé. Tel Saint-Louis sous son chêne, elle écoutait les deux parties avec attention, tâchait de comprendre, de démêler les tenants et les aboutissants du problème, et renvoyait le groupe – car entre temps, les curieux s’étaient invités au lit de justice – avec une sentence proche de « qu’on ne vous y reprenne pas ! » agrémentée d’un appel à la tolérance et à l’intelligence de chacun.

De toute façon, à cette époque les histoires, les problèmes, les heurts entre les élèves étaient du domaine de l’enfance, j’ose dire bon enfant. Les récréations sereines, dont le but originel était le repos et la détente, ne dureront pas. Vint le temps des déclarations d’accident rédigées pour une égratignure – au cas où -, des appels téléphoniques aux parents pour un pet de travers – afin de ne pas s’entendre dire : « j’aurais aimée être prévenue ! » (Le féminin est normal). Les jeux n’en furent plus et le vocabulaire fut celui des adultes. Je me rappelle de cette petite gueule d’ange qui lâcha à l’adresse d’un petit camarade, un « Nique ta mère ! » assuré et naturel. La maman de l’insulté, d’origine turque de surcroît, fut la première arrivée dans la cour à 13 h 20 pour demander à la petite tête blonde : « Pourquoi m’as-tu insultée ? »

Je me demande comment Jean Perret aurait réagi à tout ça …

Et subitement, le directeur s’exclamait, la moustache en vrille : « Arrêtons ce scandale ! », c’était le signal qu’il fallait rentrer. Ce cri sonnera comme un leitmotiv jusqu’à la fin de sa carrière, c’était une référence, une moquerie à l’endroit de l’inspecteur qui s’était, un jour posté devant l’école, l’œil sur sa montre, les pieds dans les starting-blocks. Victorieux, il avait déboulé dans la cour à 8 h 31 ou 32 …

 

Photos : l'école du centre à Champagney - 2012

Récréations casse-gueule
Tag(s) : #Textes et nouvelles
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