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Les maquisards du jeudi

Les maquisards du jeudi

Enfant, le jeudi, je retrouvais Yannick et Serge Réau pour jouer dans un bois de sapins situé au-dessus de chez eux. Parfois, Patrick Douillon nous rejoignait. Comme je n’étais pas autorisé à aller « si loin » seul, le grand-père Théo m’accompagnait. Il s’asseyait sur un talus à l’orée du bois et restait là tout le temps du jeu qui durait une partie de l’après-midi. Il grattait la terre du bout du bâton qui lui servait de canne, ne montrant aucun signe d’impatience. Cela ne me posait pas de problème qu’un homme de soixante-quinze ans reste assis ainsi sur la mousse une « paire d’heures ». J’avoue qu’aujourd’hui encore, au regard du contexte, cela n’a toujours rien de choquant à mes yeux. Heureusement pour l’Ancien, ces parties en plein air étaient synonymes de belle saison, de beau temps et de chaleur.

Théo ne surveillait pas vraiment puisque nous partions courir dans un espace de nature constitué de deux sapinières d’âges différents, ceinturées de forêts. Le grand-père nous entendait, on passait au galop devant ou derrière lui et disparaissions pour ressurgir d’un côté ou de l’autre.

 

Mon goût pour l’histoire était déjà là, entretenu par la télévision. Les sujets traités par les émissions la « Caméra explore le temps » et les « Dossiers de l’écran » faisaient que nous ne jouions pas aux cow-boys et aux indiens. La période dans laquelle on puisait nos scénarios était la Seconde Guerre mondiale, la lutte entre les maquisards et les Allemands.

Dans le bois principal – on disait d’ailleurs : « On va jouer aux sapins ! » - se trouvait un trou creusé dans la terre rouge. On devinait un boyau d’accès et un autre mieux formé qui s’échappait vers le haut, en direction des sapins les plus jeunes. On se planquait dans cette cavité, ce refuge, ce poste de commandement … J’ai compris bien plus tard qu’on rejouait la guerre là où elle s’était déroulée vingt-cinq ans auparavant. En 1944, les Allemands étaient fixés de cette façon, au nord et au sud de Champagney, dans des trous de différentes grosseurs, reproduisant la guerre des tranchées. La différence, de taille : le terrain était alors nu, les sapins furent plantés après la guerre.

 

Nous courions une partie de l’après-midi, faisions des prisonniers qui s’échappaient et disparaissaient dans cet environnement propice, mais en respectant l’aire de jeu. Personnellement, j’avais un Luger destiné, bien sûr aux Allemands, et un petit pistolet glissé dans ma botte, au cas où ! On s’abritait derrière les gros troncs des épicéas – en réalité ce n’étaient pas des sapins ! – pour tirer sur un ennemi intouchable ou de mauvaise foi.

On accédait à cet endroit par les Couas ou directement en passant chez Réau, la maison Challant. L’endroit est resté inchangé très longtemps avec le pré en pente situé un peu après chez Sarrazin, qui conduisait « aux sapins » et les deux bois d’épicéas, jusqu’à ce que tout disparaisse sous les coups des forestiers. Les « rapailles », puis les bouleaux ont colonisé notre ancien terrain de jeu engendrant une vilaine pagaille à une année lumière de l’ordonnancement d’une plantation de conifères. J’y suis retourné récemment. Seule la topographie, un terrain en pente avec plusieurs paliers, m’a permis de retrouver mes marques. J’ai repéré le talus où se posait le grand-père et l’excavation de 1944 avec ses deux boyaux aujourd’hui comblés d’herbes et de branches. Jadis, le bois d’épicéas les avait protégés en empêchant toute pousse de végétaux.

Si la mémoire peut garder le souvenir, plus ou moins arrangé ou déformé, des événements, la nature ne conserve que peu de choses des lieux tant elle est avide de les manger, de les envelopper, et au final, de les rendre inaccessibles.

Les maquisards du jeudi
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Tag(s) : #Textes et nouvelles
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