Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

8
Le projet
 
-         Maman, regarde voir* ce que Hans a apporté !
René brandissait ce qui semblait être une boîte. Une boîte colorée.
-         Qu’est-ce que c’est que ça ? s’exclama Louise en se saisissant de l’objet : un cylindre d’environ quinze centimètres de hauteur avec, sur le dessus, une tige de fer se terminant par trois pointes écartées.
-         Achtung, Minen !* grogna Hans, les yeux ronds et un bras levé comme pour faire peur.
-         C’est une mine française, une mine bondissante, précisa Simon, une invention terrible.
-         Mon Dieu, quelle horreur !
René éclata de rire, un rire d’enfant, celui qui accompagne toujours une bonne blague.

mine.jpg
-         Mais tu ne risques rien maman, elle est désamorcée et inoffensive, affirma-t-il en séparant nettement les syllabes de ce dernier mot, tout fier qu’il était d’utiliser un terme appris, à l’évidence, très récemment.
-         Pour moi, vous avez beau faire*, ça reste un engin de mort. D’ailleurs, il y a encore eu un accident cette semaine à cause d’une de ces cochonneries. C’est la Mélie du Plain, la pauvre…Ils passaient la charrue les deux son homme*, lui tenait les mancherons comme de bien entendu et elle devant, à la place de la bête. Elle a tout pris, un bras carrément arraché. C’est pas rien de voir ça*. Quel malheur !
-         Oui, quel malheur ! reprit Simon, la guerre est terminée depuis presque deux ans maintenant et c’est comme si on était encore dedans : maisons toujours cassées, rationnement comme pendant l’Occupation et ces accidents à cause des mines.
-         Krieg, groß malheur !* claironna René en posant la mine sur la table comme pour clore cette triste conversation.
 
Hans la fit tourner afin que chacun puisse remarquer qu’elle était peinte sur tout le pourtour. Et il expliqua que c’était lui qui l’avait ainsi décorée.
Sur un fond marron clair, il avait disposé de chaque côté deux ovales. Dans le premier était finement peint un paysage de montagnes vosgiennes avec, au centre, l’église de Champagney très ressemblante avec son clocher comtois. Le second contenait une inscription en lettres bleues, « Johan Eisenhoffer – CHAMPAGNEY – 1945-1947 », le tout cerné de feuillages.
Simon émit un sifflement d’admiration :
-         Tu peux compter* que notre ouvrier est aussi un fameux artiste, dit-il, en examinant l’arme devenue ainsi objet de souvenir.
-         Beaucoup prisonniers faire ça le soir pour passer le temps, précisa Hans.
-         Asseyez-vous seulement*, vous allez boire un coup avant d’empoigner* votre travail, commanda Louise. Puis, saisissant la mine, elle la posa sur un coin du buffet.
-         Oille ouate*, elle est encore bien lourde. Vous êtes sûrs que ça ne risque rien ?
-         Rien du tout, confirma René tout énervé. D’ailleurs en venant ici, tout par un coup*, Hans s’est buté dans un caillou, la mine lui a échappé, il a essayé de la récupérer et il a failli tomber. La mine a roulé au beau milieu de la route. Elle a même une beugne* sur le dessus, la peinture est un peu partie.
On savait que ça ne risquait rien, mais on a tous eu peur quand même. Après, affreux comme on a ri ! *
 
Tous avaient écouté attentivement le gamin et tous rirent de son bavardage, même Simone qui d’habitude ne manquait pas de le contredire.
René n’avait pas son pareil pour prendre la parole et intéresser son auditoire. A l’école cela lui causait parfois du tort. « Quelle pipelette ! » soupirait Louise. Mais cette langue bien pendue, était-ce vraiment un défaut ?
 
 
-         Bon, c’est pas tout ça, reprit Simon, Hans termine ton verre, c’est pas le moment de faire pêché de cabaret*.
-         Oui, enchaîna Louise, il est temps de vous mettre après votre bois*. Moi aussi, j’ai bien de l’ouvrage et aujourd’hui le dîner* sera vite fait.
-         Qu’est-ce que tu vas nous faire ? questionna René.
-         Oh ! C’est simple, des poirottes rondes*, une salade et une tarte aux prunes. Des prunes reintries* et un peu fières*, mais avec du sucre ça ira.
-         Hans ! Tu aimes les poirottes, hein ? C’était là plus une affirmation qu’une question de la part du gamin.
-         Ja, ja ! Gut patates. Parmentier, grand homme français…
-         Allez, filez bavards ! coupa la patronne, Hans a du boulot et si on jacasse encore, jamais il ne veut y arriver*, en plus chez Jolain* ont demandé qu’il passe cet après-midi pour aider à rentrer du bois. Moi, j’ai les carreaux qui ont besoin de laver* et ensuite les gosses vous m’aiderez à arracher les patates du champ du haut.
 
Simon et Hans avaient entrepris de couper des arbres dans un terrain en pente situé au-dessus de la ferme. Il faudrait ensuite les élaguer puis couper le bois en bouts d’un mètre. Plus tard, ils enlèveraient les souches, un gros travail en perspective.
 
-         Dis moi voir Hans, comment va la santé ?
-         Toujours dysenterie Papa Simon, embêté tous les jours.
-         C’est pas étonnant avec l’eau sale que vous buvez au camp.
 conversation.jpg
Ce jour-là, les deux hommes parlèrent plus qu’à l’accoutumée. Hans avait des choses importantes à confier à son ami. A tel point qu’à un moment, ils s’assirent sur un tronc, l’un penché vers l’autre.
 
Par la Croix Rouge, Hans avait reçu des nouvelles de sa femme et de son enfant. La fillette avait maintenant trois ans. Déjà ! Elles avaient été recueillies par les parents de Hans et vivaient en Bavière, à Vöhringen, une ville située à une trentaine de kilomètres au sud de Ulm.
Simon et Louise en avaient souvent parlé. Toute la gentillesse qu’ils pouvaient offrir à cet Allemand, à cet homme, ne pouvait combler l’absence. Hans avait le mal du pays, le mal de sa famille, de son épouse, de cette petite fille qu’il n’avait jamais vue !
En plus, une mauvaise nouvelle était arrivée au camp qui avait fini de lui détruire le moral. Les champs de mines autour de Champagney étant sur le point d’être prochainement tous neutralisés, les prisonniers seraient ensuite transférés dans le nord de la France pour travailler dans les mines de charbon.
Hans fit clairement comprendre à Simon que cette dernière nouvelle était pour lui le signal, qu’il n’avait plus à hésiter. Il était résolu à s’évader, à tout faire pour retourner en Allemagne et retrouver les siens.
-         Je te comprends et je t’approuve, dit Simon en posant une main sur l’épaule de celui qui, en se confiant ainsi, lui prouvait toute sa confiance. Mais comment vas-tu faire ? Ce n’est pas une mince affaire qu’un tel projet.
-         Tout prévu. Ça fait beaucoup de jours je pense.
 
Et Hans raconta ses préparatifs qui duraient depuis plusieurs semaines. Sur un avion américain tombé au milieu de la forêt, il avait récupéré jour après jour, patiemment et en prenant mille précautions, une foule de choses : des petits ressorts, des éléments magnétiques, des pièces électriques, des morceaux de plexiglas, du cuir, du fil d’aluminium…
-         Pour quoi faire tout ça ? s’étonna Simon.
-         Kompaß ! répondit Hans tout sourire, Bussole. Au kommando les camarades disent « Hans Fabrikant de boussoles ».
Simon n’en croyait pas ses oreilles.
-         Hans tu es très intelligent, murmura-t-il admiratif, mais mon ami, il ne faudra pas te sauver quand tu seras à la ferme.
-         Promis, Papa Simon, je veux pas vous avoir Problem.
 
Et Hans expliqua encore ce qu’il avait envisagé. Il avait déjà enterré dans le bois, avec d’autres objets indispensables, deux boussoles. Sa fuite aurait donc lieu depuis la forêt à la fin d’une journée de travail.
-         Que peut-on faire pour t’aider ? demanda encore Simon.
-         Gar nix, Papa Simon. Rien. Louise, grand-mère Hermance, René, Simone, vous beaucoup, beaucoup fait pour moi. Avoir beaucoup Glück, comment vous dire ? unglaublich Glück…chance incroyable, avoir rencontré famille Papa Simon.
Et les deux hommes, émus, se rapprochèrent encore l’un de l’autre. Ils s’étreignirent en silence convaincus qu’une page se tournait.
 
h
Regarde voir : voir renforce le verbe.
Achtung, Minen ! : Attention, c’est une mine !
Vous avez beau faire : tu n’y arriveras pas, vous ne me ferez pas changer d’avis.
Les deux son homme : elle et son mari, les deux.
C’est pas rien : c’est quelque chose !
La guerre est un grand malheur !
Tu peux compter : tu peux être sûr.
Asseyez-vous seulement : je vous en prie.
Avant d’empoigner votre travail : avant de commencer votre travail.
Oille ouate : expression de dépit, de lassitude ou de surprise.
Tout par un coup : tout à coup.
Une beugne : un coup.
Affreux comme on a ri !: on a vraiment beaucoup ri.
Faire pêché de cabaret : ne pas vider son verre.
Il est temps de vous mettre après votre bois : Il faut commencer.
Le dîner : le repas de midi.
Des poirottes rondes : des pommes de terre cuites à l’eau, en robe des champs.
Reintries : ridées.
Fières : acides.
Jamais il ne veut y arriver : il n’y arrivera jamais.
Chez Jolain : les Jolain, la famille Jolain.
J’ai les carreaux qui ont besoin de laver : les carreaux sont sales.
 

Lire le chapitre 9 : Simon & Hans - chapitre 9
Tag(s) : #Simon & Hans - roman
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :