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L’évasion

 

Ainsi, Hans s’était confié à Simon.

Son projet avait mis des semaines pour prendre forme. Puis il avait tout préparé dans le moindre détail. Cela avait encore duré de nombreuses autres semaines. Très vite, l’idée de s’évader directement du camp fut exclue. La seule chance de réussir était de s’enfuir depuis la forêt, à la fin d’une journée de travail.

Les Allemands allant vivre les derniers jours consacrés au déminage, il ne fallait plus attendre. Ensuite, ce serait impossible.

 

Hans savait que les obstacles seraient nombreux : réussir à s’échapper le premier jour, rejoindre la frontière, passer en Allemagne, traverser une bonne partie de ce pays, son propre pays. En plus, il faudrait effectuer plusieurs centaines de kilomètres à pied.

Comme tout prisonnier évadé, la première crainte de Hans était de se faire reprendre, il n’ignorait pas qu’une prime était offerte à quiconque permettait la capture d’un fugitif.

Il avait cependant un atout principal. L’Allemagne n’était pas très éloignée de son point de départ, Champagney n’en étant situé, à vol d’oiseau, qu’à une soixantaine de kilomètres. Enfin, il serait vite en Alsace où il pourrait éventuellement parler allemand, même s’il était préférable de n’avoir aucun contact tant qu’il serait en France.

 

La préparation avait duré très longtemps parce que Hans avait sorti du camp une à une chaque chose dont il aurait besoin. On sait qu’il avait confectionné deux boussoles. Mises chacune à l’abri dans une boîte d’aluminium, il les avait enfouies, l’une au pied d’un grand bouleau, l’autre dans une tranchée recouverte d’une épaisse couche de feuilles mortes. Il s’était également procuré une veste et un pantalon civils – il n’était évidemment pas question qu’il disparaisse avec sa défroque de prisonnier -, avait transformé en sac à dos un ancien sac de blé, fait des provisions de pain, enduit de cire une toile de tente afin de la rendre imperméable. Roulée et transformée en une sorte de bouée, elle devait lui permettre, le moment venu, de traverser le Rhin.

Hans avait déployé mille ruses pour parvenir à tout rassembler, tout sortir du camp, tout dissimuler. Son être entier, toutes ses facultés, toute son énergie ne tendaient que vers ce seul but : partir, mettre tous les atouts de son côté afin de réussir sa fuite.

 

 

Le jour de l’évasion arriva. On était au début du mois d’octobre. Hans avait peu dormi sachant qu’il jouait gros. S’il échouait, il serait battu, tondu et envoyé en prison à Belfort avec la perte de tout espoir de revoir les siens avant longtemps.

 

C’était un matin humide, la brouillasse recouvrait tout. La journée passa, morne, sinistre, interminable. Il fallait faire semblant.

Le signal du rassemblement retentit enfin. Le cœur de Hans s’emballa, il fallait, à partir de ce moment – malgré la tension et l’émotion -, être précis, faire les choses dans l’ordre, il fallait que tout s’enchaîne comme il l’avait pensé.

 

Machinalement, Hans se mit à prier. Les hommes parlaient, les gardiens marocains s’interpellaient bruyamment. Hans s’éloigna, il fit mine d’aller uriner vers le bouleau au pied duquel était enfouie l’une des boussoles. Du pied, il remua le tapis de feuilles. Rien.

Derrière lui, les prisonniers finissaient de se réunir, le retour au camp s’organisait rapidement. C’était trop tard pour chercher plus longtemps. Hans rejoignit tranquillement ses camarades.

 

Les groupes, constitués chacun d’une quinzaine de prisonniers, se mirent en route, en file indienne, un soldat armé fermant la marche à chaque fois.

Hans, le premier de son équipe, ralentit le pas dans le but de creuser l’écart avec la file précédente. Il attendait le moment propice, le seul.

Le sentier dessina enfin l’angle droit qu’il attendait. Un coup d’œil en arrière et il plongea dans les broussailles, se précipitant à grandes enjambées à l’opposé, faisant des sauts prodigieux, fouetté par les branches, les mains et le visage déchirés par les ronces. Sa poitrine était sur le point d’exploser. Brusquement, il se jeta dans un fourré et s’y roula en boule, se faisant le plus petit possible. Il écouta. Ses tempes bourdonnaient. Très vite, l’humidité du sol pénétra ses genoux, ses jambes, son dos.

 

 

Il attendit ainsi, tous les sens en éveil. Au bout de quelques instants, il crut qu’il pleuvait. En réalité, les branches, les feuillages, les hautes herbes s’égouttaient sur lui. Il devenait éponge, la forêt épaisse, étrange alliée, l’ absorbait lentement.


evasion.jpg

Le temps passa. Soudain, des cris déchirèrent brutalement la grisaille. Hans se recroquevilla davantage, le plus qu’il put. Ah ! S’il avait réussi à rentrer en terre… Les éclats de voix se rapprochèrent. Ils le cherchaient, c’est sûr.

Commença alors une interminable attente faite d’angoisse et de douleur. Hans était devenu une chose inerte. Il fermait les yeux, serrait les poings qu’il avait glissés sous les aisselles. D’immenses orties aux feuilles larges et ruisselantes le cernaient.

 

Par deux fois, des soldats passèrent à quelques mètres de l’homme qui maintenant faisait corps avec l’humus. Hans bloqua sa respiration, le visage enfoncé dans la terre, trempé de sueur malgré la brume froide qui enveloppait la forêt. Son cœur cognait comme s’il voulait sortir de sa poitrine. Les soldats parlaient doucement, marchant l’un derrière l’autre. Ils passèrent. Et puis plus rien. Le silence. L’obscurité. Et les deux mêlés.

En fait, si la nuit était profonde, le silence, lui, ne l’était pas. Il y avait toujours un craquement, un bruit, un mouvement.

 

 

Combien de temps Hans resta-t-il ainsi inerte, comme mort ? Plusieurs heures assurément. Il faisait nuit depuis très longtemps lorsqu’il décida de bouger, enfin. L’esquisse d’un premier mouvement lui fit mal. Il gémit doucement. Toute la partie gauche de son corps était comme paralysée. Il mit très longtemps à se déplier, puis à se mettre à genoux, puis à se relever. Ce retour à la vie fut douloureux, les premiers pas lents et difficiles.

Hans était trempé, les cheveux collés, les vêtements boueux, le visage et les mains écorchés, des épines de ronciers plantées dans la peau. Il saignait. Son sens de l’orientation lui permit, après une pénible marche hors des sentiers, de retrouver l’endroit où il avait caché ses affaires.

Malgré le danger que cela représentait, il prit le risque d’utiliser son briquet dont la faible lueur l’aida à récupérer une seule boussole, les vêtements civils, le pain, toutes les choses dissimulées au cours des semaines précédentes.

Puis il parvint au-delà de la ligne de rubans qui délimitait la zone minée. Il n’y avait pas de temps à perdre, conscient d’avoir déjà eu beaucoup de chance depuis le commencement de son aventure, notre fugitif se mit en marche en direction de l’est.

 

Lire le chapitre 10 : Simon & Hans - chapitre 10

Tag(s) : #Simon & Hans - roman
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