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Conférence donnée à Lure le 11 janvier 2018 dans le cadre de l'Université Ouverte

"Diego Brosset, un Français Libre méconnu"

Diego Brosset - conférence

Le général Brosset – ainsi que la 1ère DFL – sont les oubliés des historiens et des livres consacrés à la Deuxième guerre mondiale ainsi qu’à l’histoire de la Libération. Toute la place est prise par Leclerc et la 2ème DB et par quelques autres personnages. Brosset a pourtant rejoint de Gaulle dès juin 1940 (De Lattre ou Juin, par exemple, resteront du côté de Vichy jusqu’en 1942). Cette ignorance – volontaire ou non – trouve ses racines dans l’histoire elle-même. Il n’empêche … Toutes mes actions et mes écrits ont donc pour but de réparer une injustice et de réhabiliter la mémoire de Diego Brosset et de ses soldats.

 

Diego Brosset est né à Buenos-Aires le 3 octobre 1898 issu d’une famille de magistrats lyonnais. Son père, Georges Brosset  était venu en Argentine diriger la distillerie d'un ami dans le Chaco. Sa mère Jeanne Meistreit était la fille d'un ingénieur belge chargé de la construction du chemin de fer. Ce n’est que deux ans plus tard que petit garçon découvrira la France. Comme ses frères, il sera mis en pension chez les jésuites de Dole, ce qu’il supportera assez mal.

Dès 1914, le jeune garçon n’a qu’une idée : s’engager comme son frère aîné, mais il n’a que seize ans ! Le 7 septembre 1916 - il a donc dix-huit ans - il contracte un engagement pour la durée de la guerre dans les chasseurs à pied. Il fait ainsi partie de la légion des mille, le groupement des 1000 plus jeunes volontaires de la guerre de 14-18.

 

LA GUERRE DE 1914-1918

 

Il rejoint les armées le 27 février 1917, à Giromagny et s’engage au 28° BCA (bataillon de chasseurs alpins de Grenoble). Les Allemands retraitent depuis le 4 février 1917 vers Épinal et le 28° BCA, chargé de briser leur résistance, fait mouvement. Étrange signe du destin : l’itinéraire choisi passe par Auxelles-Bas, Plancher-Bas et la rive gauche du Rahin, à deux pas de l’endroit où il mourra vingt-sept ans plus tard.

Il reçoit son baptême du feu au fort de la Malmaison en octobre 1917 et y récolte sa première citation à l’ordre de la 66° DI, le 1er décembre 1917 : « Grenadier d’élite du groupe franc du 68° bataillon de chasseurs alpins, très belle attitude au cours des combats du 23 octobre. »

Promu caporal en février 1918, il ne cesse dès lors de se distinguer d’abord dans la Somme, puis sur les plateaux du Soissonnais.

 

Le 25 juillet 1918, il est cité à l’ordre du 68° bataillon : « Brillant gradé – caporal – aussi peu soucieux du danger que plein d’entrain dans le combat. Vient une fois de plus de faire preuve de belles qualités de chef au cours des derniers combats. »

Le 27 août, son bataillon retourne au front et le 16 septembre, il reçoit une troisième citation à l’ordre de la 66° division : « Caporal très courageux, volontaire pour toutes les missions périlleuses, a, dans les journées des 14,15, 16 septembre 1918 assuré la liaison, en terrain découvert, malgré le feu violent de mitrailleuses et d’obus de tous calibres ».

Une nouvelle citation lui est décernée le 16 octobre 1918, à l’ordre du bataillon : « Sous-officier d’une rare valeur. Le 16 octobre 1918, désigné pour assurer la liaison avec un bataillon voisin a accompli sa mission d’une façon parfaite, malgré un bombardement et des feux de mousqueterie très violents. Sa mission terminée s’est fait à nouveau remarquer par sa bravoure et son mépris du danger en conduisant sa section à l’attaque le jour suivant. »

 

L’armistice arrive alors qu’il est à l’école d’aspirants d’Issoudun. Il participe au défilé de la Victoire le 14 juillet 1919, dans les rangs de son régiment de chasseurs. Deux mois plus tard, il décide de signer à nouveau un engagement dans l’armée pour deux ans et de préparer l’école de Saint-Maixent. Au cours de cette période – de novembre 1920 à mars 1922 - il se donne à fond à la fois à l’étude et au sport : il sera champion de France militaire du 800 mètres et du 1500 mètres. En outre, escrimeur de bon niveau, il séjournera également à l’école de gymnastique et d’escrime de Joinville du 24 oct au 24 déc 1921.

 

L’AFRIQUE

 

Sous-lieutenant, il est d’abord nommé au Soudan en 1922. Deux années durant, il y mène une vie de méhariste, à la fois très active également axée sur la vie spirituelle.

Entre lecture et écriture, il lance ses hommes et leurs chameaux dans de longues courses, partage la vie des habitants du désert, s’initie à leur culture et fait le coup de feu contre les partisans. Deux ans plus tard, il se retrouve dans le Sud algérien, à la tête d’un peloton de méharistes, puis, en 1925, séjourne une première fois en Mauritanie. Le même désert lui inspire une Étude critique des méthodes méharistes inspirée bien évidemment par son expérience.

 

L’un de ses camarade, le lieutenant Magré insiste sur sa grande intelligence et sur l’étendue de sa culture :

« Brosset, assure-t-il, est le prototype de la culture vaste et variée, il travaille dix heures par jour, six heures la nuit. Il étudie l’arabe, l’espagnol ; il fait revivre la langue azer [une vieille langue du Sahara occidental qui sera étudiée plus tard par Vincent Monteil et par Théodore Monod] mal en point. Il s’intéresse à l’astronomie et aux procédés topographiques .

La littérature européenne moderne, les questions sahariennes, islamiques, de la race jaune, n’ont plus que de rares secrets pour lui.

On tremblerait si le lieutenant Brosset n’était doué d’une puissance de travail qui ne connaît pas ses limites, ce qui, par ce côté, l’apparente aux grands hommes. »

 

En 1927, il achève un roman, qu’il intitule « Il sera beaucoup pardonné », où il mêle ses rêves et ses actions. L’année suivante, il regagne la métropole pour un séjour de deux ans, d’abord à Coulommiers, puis en Espagne où il est envoyé pour effectuer un stage linguistique.

Durant cette période, il se lie avec le sous-lieutenant de zouaves Jean Bruller – futur Vercors dans la Résistance – celui-ci est immédiatement séduit par l’énergie, la volonté et la vivacité de ce camarade.

 

En 1929, Brosset regagne la Mauritanie pour un nouveau séjour de deux ans. Il y écrit un nouveau roman, aussi autobiographique que le précédent : Un Homme sans l’Occident, tout en assurant le commandement d’un groupe nomade opérationnel. Promu capitaine à 32 ans, nommé à la section « Études » au ministère de la Guerre, il épouse en 1931 Jacqueline Mangin, fille du général. Ils auront quatre enfants : Isabelle née en 1932, Henri en 1934, Ijjo en 1936 et Éliane en 1938.

Il fréquente l’école des Langues orientales, dont il obtient le diplôme, et il écrit de nombreux articles pour Le Bulletin du Comité de l’Afrique française et pour L’Illustration.

Nommé au Maroc en 1933, il exerce le commandement militaire et les fonctions d’administrateur civil du territoire d’Akka, reçoit une nouvelle citation et trouve le temps d’apprendre l’anglais. Il reste au Maroc jusqu’en 1937. Entre temps, il a préparé le concours de l’école supérieure de Guerre où il y est reçu seizième sur 81. S’il est heureux d’y entrer, il est déçu par l’insuffisance intellectuelle des professeurs et le caractère trop étroitement militaire de l’enseignement : « Le milieu de l’école de Guerre est un milieu sans âme », écrira-t-il. Il ne s’y épanouit pas, mais cela ne l’empêche pas d’être breveté officier d’État-major juste avant la déclaration de guerre. Il a alors 41 ans.

 

 

LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE

 

La Deuxième-guerre le trouve à l’étatmajor du Corps d’Armée colonial. Mais ses chefs le jugent trop ardent, « impulsif »; aussi ils l’envoient l’École de Guerre de Bogota : le baroudeur devient professeur de tactique et de stratégie.

Il part enseigner « aux indigènes colombiens ce dont l’Armée française ne veut pas ».

En juin 1940, Vichy le rappelle. Il est facile d’imaginer la joie qu’il éprouve à rallier le général de Gaulle le 24 juin 1940 et de quel rire il accueille la condamnation à mort par contumace qui s’ensuit.

Il offre au général de Gaulle ses services d’« officier breveté parlant l’anglais et beaucoup mieux l’arabe ». De Gaulle accepte immédiatement et lui propose de faire partie de son état-major. Il est nommé lieutenant-colonel, affecté au 2e Bureau en attendant d’accompagner, en mars, le Général en Afrique. A Fort-Lamy, il fait la connaissance de Larminat et Leclerc : « Cela change des chefs habituels de la vieille armée française », note-t-il dans ses carnets. Il suit de Gaulle au Soudan, en Éthiopie, au Caire.

 

Le 7 juin 1941, il est de retour au Caire, où de Gaulle et Legentilhomme préparent l’entrée des troupes françaises au Levant. Quatre jours plus tard, il accompagne le Général à Jérusalem. Le mois suivant, il est nommé à l’état-major de Catroux, commandant en chef des FFL au Moyen-Orient, puis commandant des troupes de l’Euphrate et enfin commandant de l’Est syrien. S’il se révèle un chef, un politique, un diplomate, il n’y est pas heureux, car il lui tarde de participer aux combats en première ligne. Le 23 novembre 1942, il écrit à Catroux pour lui rappeler son cursus depuis juin 1940 et ajoute : « Beaucoup de responsabilités, beaucoup de travail, peu d’occasions de mettre à l’épreuve ma vigueur et ces qualités qui, chez les militaires, sont presque uniquement prisées, puisque ce sont les seules que l’on récompense. ». Il demande à servir « au feu, même sans grade ». Un mois plus tard, il est nommé commandant de la 2e Brigade de la 1ère DFL et, en même temps, général de brigade.

 

Il est heureux, mais son unité est bien mal en point : elle n’a été engagée que de manière épisodique dans les combats de Libye et elle a été « pillée » au profit de la 1re Brigade, celle qui s’est couverte de gloire à Bir Hakeim. Alors, écrit sa biographe Geneviève Salkin, « il piaffe d’autant plus qu’on se bat en Tripolitaine, que Leclerc progresse dans le Fezzan pour rejoindre les Anglais et que même des unités de l’armée d’Afrique, bien mal armées, sont engagées depuis fin novembre en Tunisie auprès des Britanniques ». Sa crainte est que tout soit terminé avant même que la 2e Brigade ne soit prête à entrer en ligne. Au camp de Gambut, il l’entraîne, il la motive. En avril enfin, elle reçoit l’ordre de gagner le front tunisien et parcourt en quinze jours 2400 kilomètres. Quelques jours avant la capitulation allemande, Brosset et ses hommes s’illustrent lors des durs combats de Takrouna le 11 mai en Tunisie. Brosset est heureux.

 

Dans les semaines qui suivent, il observe avec inquiétude les difficultés de l’amalgame entre l’armée d’Afrique, commandée par Giraud – qu’il a connu au Maroc et qu’il respecte – et les Forces françaises libres.

Il est rassuré en apprenant que le projet de Kœnig, commandant la 1ère Brigade, de faire de la DFL une unité opérationnelle est accepté. Le 5 août 1943 il est nommé, commandant de la 1ère DFL : « Je ne me cache ni la difficulté de la tâche qui m’incombe, écrit-il à de Gaulle le lendemain, ni la légèreté qu’il pourrait y avoir à l’assumer allègrement porté par la vanité d’en avoir été jugé digne. ». Il est secondé par le commandant Saint-Hillier et le lieutenant Prunet-Foch, il entreprend sans tarder de réorganiser une division – devenue officiellement « Première division motorisée d’infanterie », ou 1ère DMI - où il fait figure de « nouveau » auprès d’hommes qui ont un beau palmarès à leur actif.

Brosset va les prendre en main à son habitude. Il se constitue un Etat-Major, réarme la Division et l’entraîne au combat dans les exercices en vraie grandeur qui durent une semaine. Il impose une discipline rigoureuse. Il mène sa vie comme sa voiture, à 100 à l’heure. Il dort peu, à 4 h. il est debout, sortant de son camion PC sans faire de bruit pour ne pas réveiller son aide de camp. Un peu plus tard il fera sa culture physique, galopera à cheval. Il parle, ordonne, écrit, enseigne.

Pour son anniversaire, il saute à pieds joints sur une table devant son État-major rassemblé pour cette démonstration : « Et j’ai 45 ans ».

 

Il va à Alger pour obtenir l’envoi de sa Division au combat. Ses impressions, ses sentiments, ses décisions font l’objet de longues conversations avec son chef d’État-major à qui il raconte tout. C’est sa manière particulière de travailler, il parle, met en parlant de l’ordre dans ses idées, puis va rédiger ses notes ou ses ordres.

 

Le 11 avril 1944 enfin, la plus grosse partie de la Division s’embarque pour Naples rejoindre le Corps Expéditionnaire Français.

Le combat commence aussitôt, le général y donne toute sa mesure. « Toujours en tête des unités engagées comme il sied », - écrira le Général Juin - Brosset fonce ; la ligne « Gustav » cède aux assauts des Français.

Brosset est rassuré : « De cette expérience nouvelle, écrit-il à sa femme, je tire la conclusion que je suis capable de mener le combat d’une division ; j’en doutais, mais la preuve est faite. Aucune difficulté pour moi à manier infanterie, artillerie, génie et même tanks, fussent-ils américains ou français. C’est très étrange que cette découverte progressive des possibilités qu’on représente. »

On le voit partout, en première ligne, toujours avec les unités de tête qu’il lance dans la bagarre, toujours en liaison par radio avec son chef d’E.M., modifiant les emplacements et les ordres en fonction du terrain, redressant les situations. Il sait communiquer son enthousiasme à ses troupes, qui connaissent ses réparties tantôt brutales, tantôt pleines de fantaisie et de familiarité.

 

Le 18 juin 1944, Brosset perd le commandant de son artillerie, LaurentChamprosay tué par une mine. Il salue son compagnon par des mots affectueux et lourds d’une étrange prémonition : « Mon colonel, nous étions attelés à la même tâche. Vous êtes tombé aujourd’hui, nous continuons. Peut-être, demain, ce sera notre tour de vous rejoindre. »

Séduisant, déroutant, fascinant, entraînant, Brosset donne toute sa mesure lors de la prise de Rome, puis de la poursuite en Toscane : « C’est, écrit le général Juin, un chef jeune, ardent et intrépide, qui s’est donné de toutes ses forces et de toute son intelligence à sa bataille et qui l’a toujours bien conduite, à l’avant, comme il sied. » Le 29 juin, il dîne au palais Farnèse avec de Gaulle, qui, le lendemain, vient passer en revue la Division à Naples.

 

 

Diego Brosset - conférence
Diego Brosset - conférence

LA FRANCE

Au début d’août, la Division au complet embarque pour la Provence. Le 16 août il prend pied à Cavalaire et Brosset salue la plage d’un « Bonjour ! ».

 

Il s’était bien promis de ne pas engager trop vite ses hommes, de tâter le terrain, mais à peine débarqué, il se porte près du Gapeau, au point extrême atteint pas les Américains qui piétinent. Il juge la situation, voit une occasion, il appelle son monde, le jette en avant, pousse les uns, tire les autres, reconnaît tout seul des itinéraires, insulte les lambins, fait bombarder un fort, tirer sur une hauteur, pousse des chars à l’aide des éléments débarqués de la 9e D.I.C. En liaison avec celle-ci, trois jours de durs combats sont menés contre les bétons et les villages fortifiés, dans les forêts de pins qui brûlent. C’est ainsi qu’il vient à bout de la ceinture de défenses de Toulon.

Comme à son habitude, Brosset participe directement à tous les combats du débarquement, « mêlé à ses hommes, écrira l’un de ses adjoints, le capitaine Magendie, d’aussi près que je voudrais le voir faire à beaucoup de commandants de bataillon ».

Le 23 août l’ennemi cède, enfoncé à coups d’artillerie. Brosset entre parmi les premiers à Toulon.

C’est ensuite la remontée du Rhône et son coup d’audace qui lui permet d’occuper Lyon, berceau de sa famille. Il y fait son entrée, avec un panache qui lui vaut une popularité immédiate. Il monte le perron de l’Hôtel de Ville avec sa jeep, puis se promène dans les rues où l’on continue à tirailler et engueule les tireurs : « Apostropher des gens qui tirent des coups de fusil, me foutre d’eux et mettre les rieurs de mon côté m’amuse, écrit-il ; dommage que je n’ai plus ma voix de jadis. »

Le commissaire de la République Yves Farge sera époustouflé de le voir debout sur son command-car, le képi sur la nuque, la poitrine au vent, criant : « Bandes de cons, est-ce que ça va finir ? » et comme par miracle les armes se taisaient : « Je revois, écrit Farge, cette silhouette de héros au torse bombé, les deux poings sur les hanches, cet homme superbe dans sa prestance et dans son cri ; cette autorité de soldat qui, d’un mot cru, retourne la situation, puisque aussitôt la colère se mue en acclamations. »

Nommé commandant d’armes de Lyon et général de division, il prépare l’inévitable revue, assiste à la messe d’action de grâces à Fourvière, préside la cérémonie au fort de la Duchesse en mémoire des fusillés.

 

Il vit dans son camion PC, sa roulotte, qu’il a placée dans la cour de l’Hôtel de Ville. Mais il ne tarde pas à reprendre la poursuite vers Dijon puis relève la 45e Division d’infanterie américaine dans le Jura.

Le 3 octobre, pour son quarante-sixième anniversaire, il prend Ronchamp. Le 23 octobre, il évoque sa division pour Maurice Druon en reportage pour le Parisien libéré : « La 1ère DFL ? Elle est comme ma fille, une fille susceptible, bien douée, capricieuse, difficile et, quand elle veut, charmante […] Elle a des excuses à ne pas être comme tout le monde. Elle s’est formée en courant le monde… C’est une grande unité qui a de la chance. […] les succès l’ont grisée ; elle flirte avec la mort, un peu trop. »

A cette époque les FFI et les volontaires ont remplacé les Noirs fidèles qui comptaient pour une bonne part dans les rangs de la Division. Si Brosset ne doute pas de leur vaillance, en revanche il s’inquiète de la cohésion de ses unités ainsi complétées.

Par sport et par goût, il se montre à ses hommes, en képi, en short comme toujours, conduisant lui-même sa jeep découverte dont la sirène mugit. Il chante, au matin, dans le froid glacial des Vosges. Pour aller plus vite d’une brigade à l’autre – au mépris du danger - il emprunte le no man’s land.

En novembre, la Division est au contact sur 22 km. Quelques jours avant la reprise de l’offensive Brosset emmène son chef d’État-major Saint-HIllier en avant « pour le détendre ».

Un éclat de mortier les touche tous les deux, râpant le cuir chevelu de l’un et s’enfonçant sous la clavicule gauche de l’autre à 3 ou 4 cm de profondeur : sa première blessure. Le sort avertissait ainsi le général qu’il n’était pas invulnérable comme il le croyait.

Il n’en a cure, le 19 novembre 1944, la Division reprend l’offensive, la Chevestraye, Champagney, Plancher Bas, Plancher-les-Mines sont enlevés. Brosset excité, impatient, pousse ses groupements en avant, les entraîne. La neige, les mines, des obstacles barrent la route.

A ses soldats, il adresse ce message : « Dans les jours qui suivent, je compte sur vous, les plus vieilles et les plus jeunes troupes de la nouvelle armée française, pour atteindre Giromagny et le Rhin au Nord de Mulhouse. » Il visite les unités, harcèle les hommes, court, saute, bondit sous une pluie torrentielle.

 

LA MORT DE BROSSET

 

Le 20 novembre, vers 7 heures, Brosset, radieux, quitte son PC de Melisey. « Tout marche bien, ditil, nous serons ce soir à Giromagny. » Comme à son habitude, malgré le froid et le mauvais temps, il est en short et conduit luimême sa jeep découverte. Son aide de camp, JeanPierre Aumont, est à ses côtés, son chauffeur Pico, à l'arrière. Le général fonce et les trois hommes chantent à tue-tête des airs patriotiques et de vieilles chansons. Ils visitent les brigades en coupant par les bois. Lorsque la jeep s'embourbe, le général descend et, jambes nues dans la neige, la sort de l'ornière. Décidément rien chez lui n'est banal, tout son comportement 1e fait aimer de ses hommes et provoque surprise et admiration des populations libérées.

L’offensive a repris. Le BM 24 a dépassé les bois de Passavant et le BM 21 est au PréBesson. Fébrile, le général lance en plus sur PlancherBas l'escadron Barberot et un peloton de tanks destroyers. À 11 h 15, Brosset toujours en tête, la colonne investit PlancherBas et vers 12 h 30 Auxelles-Bas où les gens embrassent ce chef étonnant.

Un peu plus tard, en fonçant sur Giromagny, le général verse dans le fossé, cassant ainsi la direction de son véhicule. Il exulte de voir sa division progresser aussi vite : sept kilomètres depuis le matin. Il emprunte une jeep du 8e chasseurs et repart pour Champagney à la même allure. « jamais je ne l'avais vu aussi fougueux, aussi impatient, raconte JeanPierre Aumont. Il s'écriera plusieurs fois : la vie est magnifique! »

 

En sortant de PlancherBas, les fils d'un pylône tombé en travers de la route s'enroulent autour de ses roues. Il faut s'arrêter. Encore !

Pas le temps d'attendre. Pressé d'arriver à Champagney où il doit transmettre ses ordres au commandant Saint-Hillier, il intercepte une jeep du détachement de circulation routière, s'empare du volant. Son chauffeur a juste le temps de sauter à côté, JeanPierre Aumont derrière. Le chauffeur de l'auto réquisitionnée peut quand même prévenir le général que celle-ci déporte à gauche lorsqu'on freine.

JeanPierre Aumont rit de voir son chef le visage giclé de boue. « C'est ça qui est merveilleux, déclare Brosset. En ce moment, nous sommes dans la bagarre et dans la boue, et ce soir, je serai dans ma roulotte avec mes beaux chrysanthèmes... C'est merveilleux! »

Reparti en trombe, il a tôt fait de parcourir le kilomètre qui le sépare de Passavant, l'endroit où le matin même une barricade érigée par les Allemands avait arrêté ses hommes. Il arrive à cent à l'heure. JeanPierre Aumont crie : « Attention le pont est miné! » Le général freine et donne un coup de volant pour éviter un fourneau de mine

La jeep quitte la route et bascule pardessus le parapet de pierre que la mémoire de tous les témoins associe à une margelle de pont, alors qu'en réalité il ne s'agit que d'une protection à un endroit où route et rivière se côtoient. Il est aux environs de 16 heures.

Le Rahin est en crue. L’acteur de cinéma et le chauffeur parviennent à se dégager avant que la jeep ne soit engloutie. Le général, assommé semble-til, est emporté par les flots glacés et rougeâtres du torrent.

Dans ses souvenirs, Jean-Pierre Aumont raconte : « des mains m'agrippent et me hissent sur la berge. Le général? Où est le général? J'entendis me répondre “Ne vous en faites pas”, mais je compris vite qu'on me mentait. Le chauffeur était bien là, saignant, sur la route ; mais le général n'y était pas. Des hommes du génie fouillaient l'eau tant bien que mal. Un câble avait été attaché au parechocs, la jeep émergeait. je vis le général raide, immobile, à son volant. Puis il bascula et fut emporté par le torrent. Plus bas, des hommes du génie, faisant la chaîne, arrivèrent à agripper son corps; mais le courant était si violent que le corps leur échappa... »

 

Les recherches, auxquelles participèrent les pompiers de Champagney, continuèrent longtemps. Le corps du général est retrouvé le 22 novembre, sembletil. Les avis divergent quant à l'endroit : au centre de Champagney vers la Passerelle, à la Bachotte, à proximité du moulin du Magny.

Pierre Deveaux du bataillon des Chambarand (unité de FFI affectée au BM 4) qui a participé aux recherches, raconte : « […] le corps du général est retrouvé., retenu par un barrage de branches, i1 flotte face au ciel. Même dans la mort, il apparaît plus grand, plus imposant qu’il ne l’a jamais été. Une civière est descendue sur la rive. Deux équipes de dix hommes seront nécessaires pour hâler au sommet de la berge le valeureux général. Un lent cortège se forme pour ramener sa dépouille vers l'arrière, tandis que la division blindée qui monte en ligne, rend les honneurs au passage ».

 

Cette mort plonge la division dans la stupeur. Des soldats sont en larmes. Les obsèques du général Brosset ont lieu le 23 novembre à l'église de Lure. Auparavant, JeanPierre Aumont est allé se recueillir à la chapelle ardente où le corps du général a été déposé : « [ ... ] il n'était pas déformé par son séjour dans l'eau. Tel nous l'avions connu, noble, puissant, tel la mort le conservait... »

 

Le général de Larminat adresse au chef de la 1ère DFL, l'homme aux dix citations, commandeur de la Légion d'honneur et compagnon de la Libération, un bel hommage: « [ ...] comme en d'autres temps les héros mouraient à cheval, il est mort au volant de sa jeep qu'il menait si durement au combat au mépris des mines, des obus et des balles pour conduire au plus près la bataille de sa division... Sa division, il l'aimait comme une amante et aussi comme une fille. Il l'avait faite avec un soin minutieux, attentif aux moindres détails, la voulant irréprochable. Et il la menait au feu avec hardiesse et prudence, s'exposant sans ménagements pour économiser le sang de ses hommes, pour tirer de leur valeur tout le parti possible au prix des moindres pertes... Adieu Brosset, vous aviez tout donné de vous-même pour la libération et le relèvement de votre pays : vous êtes tombé avant d'avoir pu accomplir tout ce que vous vous proposiez, qui était grand et noble à votre mesure. D'autres le feront, inspirés par votre souvenir et votre exemple. »

Enfin le 26 novembre, parvient à la 1ère DFL un message du général de Gaulle : « [ ... ] le général Brosset était mon bon compagnon, mon ami. Jamais je n'eus de lui que des preuves indéfiniment prodigues d'ardeur, de désintéressement, de confiance... Ses derniers regards furent ceux d'un vainqueur puisqu'il vous conduisait à l'une des plus glorieuses victoires de cette guerre. Il est tombé sur le sol reconquis par vous sous son commandement ; c'est ainsi, je le sais, qu'il souhaitait mourir. Honneur au général Brosset, commandant la 1ère DFL, mort pour la France! »

Le général Brosset repose au cimetière de Rougemont (25) non loin de Villersexel, au milieu de ses hommes tombés en ce triste automne 1944.

 

En octobre 2008, je rencontrais à l’université ouverte de Lure, André Nouschi, professeur émérite à l’Université de Nice et Ancien de la 1ère DFL . Je lui demande alors d’évoquer la figure de son chef.

« Brosset était un type épatant, raconte-t-il. Quand nous sommes arrivés à Lyon avec un bon mois d’avance sur le programme, il a fait monter sa jeep sur les escaliers de l’hôtel de ville à la stupéfaction des Lyonnais et aussi à la nôtre. Il avait conduit notre division en Italie jusqu’aux portes de Sienne, et nous avions une confiance incroyable en lui. Nous savions qu’il était casse cou, d’un courage fou et d’une témérité totale. Garbay son successeur n’avait pas son allant et son panache. Il me rappelait les généraux de la Révolution; ce n’est pas peu dire. Son nom est à peine mentionné dans les manuels et dans l’histoire de la France Libre.

Il a été un grand soldat, certes, mais aussi un très grand Français. Je me suis toujours étonné qu’à titre posthume de Gaulle n’en ait pas fait un maréchal de France. Il le méritait bien. Car sans son audace, la chute de Belfort aurait été retardé. »

 

 

 

Photos : François Bresson

Diego Brosset - conférence
Tag(s) : #Histoire locale
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