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La libération de Champagney – 4 –

 Reichcarte

 

LA RAFLE

Octobre 1944

 

Le 11 octobre a lieu la rafle des hommes du village. Au cours de la nuit précédente ont déjà été pris ceux des hameaux (Pied‑des‑Côtes, Beuveroux, Grand Crochet, Ban, Époisses), ceux du Champey, et encore d’autres de la Bouverie. Les Allemands qui ont des listes en main frappent à toutes les portes.

Les familles du Centre sont informées par le garde‑champêtre ou des conseillers municipaux : tous les hommes de 15 à 55 ans doivent être sur la place à midi, chacun préparera une musette avec deux à trois jours de vivres.

Entre temps les hommes des hameaux sont conduits au centre d’où ils partent à pied pour Belfort. Cela se passe dans la matinée.

 

À l’heure dite, les hommes pris au Centre se retrouvent sur la place. Les feldgendarmes venus de Belfort les font entrer dans le préau des écoles. Là, deux nouveaux groupes composés chacun de 30 à 40 hommes sont constitués, les listes vérifiées. Les hommes de Champagney sont entourés de leur famille, des enfants circulent autour des groupes. La salle est remplie de tout ce monde.

 

Cependant tous ne sont pas au triste rendez‑vous. Une fois encore, le destin de chacun va s’accomplir. Il est des circonstances où il n’est pas question de réfléchir des heures avant de prendre une décision.

Ainsi, lorsqu’ils sont au préau, un garde allemand d’origine autrichienne ouvre la porte à Georges Péroz, Gaston Didier et leurs voisins. Il leur fait signe de se sauver. Mais il a beau leur faire comprendre qu’il n’y aura pas de représailles à l’encontre de leur famille, ils ne franchiront pas le pas. Maurice Gouhenant, ce onze octobre, se cachera dans une cheminée, Charles et Henri Jacoberger, Maurice Boillat et bien d’autres resteront également cachés chez eux. Alfred Graizely a de « la chance » : il a la diphtérie. Le médecin allemand qui le visite, le quitte rapidement levant les bras au ciel. Autre « parade », provoquée cette fois : Jules André se coupe au pied avec un rasoir. Il sera recousu à l’infirmerie allemande de l’ancien hôtel Frechin.

 

En début d’après‑midi le deuxième groupe se met en marche, vers quinze heures aura lieu le départ de la troisième colonne. Le voyage est dangereux, des rubans délimitent un chemin à travers les terrains minés. Les derniers partis arriveront à Belfort avec la nuit. A ce moment là, leurs compagnons ayant quitté Champagney avant eux, ont déjà été embarqués dans des wagons à bestiaux et emmenés en Allemagne (Eugène Boisot qui fait partie des hommes pris tôt le matin aux Époisses se retrouvera dans une fonderie à Stuttgart pour une durée de neuf mois. A son retour il ne pèsera plus que 48 Kg. De ce même groupe, Léon Bruez s’évadera, sautant dans un fossé à Evette).

L’itinéraire pour rejoindre Belfort est le suivant : rue de la gare, le Magny, le Bochor, le Petit‑Ban, Errevet, Evette, le Salbert, Valdoie.

 
DSCF7748
La montée du Bochor de nos jours

Arrivé au Bochor, le deuxième groupe subit un violent tir d’artillerie, il est éparpillé et c’est chacun pour soi. Il y a des tués et des blessés. Henri et Armand Brocard (Père et oncle d’André Brocard) sont mortellement atteints. Lucienne Millotte écrit sur cet épisode : « Mon père me racontait qu’il avait la tête de mon frère entre les jambes et qu’il pensait qu’ils allaient mourir. » (Lettre à l’auteur, juillet 1998). Vers dix‑sept heures, Gouju et Gaston Cazer traînant chacun la jambe sont de retour au village (Du Journal Morand à la date du mercredi 11 octobre 1944).

 

Après le bombardement les Allemands rassemblent les hommes dispersés et le triste voyage reprend. Au Bochor les blessés sont restés sur le terrain et ont appelé une partie de la nuit. Jean Lugbull a un éclat dans la cuisse et Joseph Jacquot est gravement touché aux jambes. Ce dernier a entrepris de creuser avec ses mains, dans la terre rouge, une cuvette pour s’y blottir. François Liechty aidé des Allemands réussira à les redescendre l’un après l’autre au Magny. Joseph Jacquot au regard de la gravité de ses blessures sera conduit à l’hôpital de Belfort par les Allemands. Jean Lugbull, déposé chez Bessot (maison en face de la route qui monte au Bochor) sera récupéré le lendemain par Paul Jacquot et Edmond Kibler : «  Vers seize heures, on ramène Jean Lugbull sur une civière … » écrit M Morand à la date du 12 octobre.

 jeunes 1940Garçons de Champagney en1940. de G à D :
Assis : Marius Démésy, André Wissler, Alfred Graizely, Jules Démésy, un Belge Liek réfugié à Champagney, Maurice Gouhenant
Debout : Robert Kramer, Robert Vissler, Léon Mettétal, Gabriel Hambert

Lorsque les hommes du troisième groupe arrivent au Magny les obus recommencent à tomber sur ce quartier. Tous s’abritent dans la maison André (Beurier). Quand survient l’accalmie, ils sont hésitants et guère enthousiastes pour repartir. Alors, nerveux, les Allemands tirent des coups de feu en l’air pour contraindre le groupe à reprendre la route. Après le pont du Magny, ils quittent l’axe principal où quelques heures auparavant leurs camarades ont été tués ou blessés, et coupent à travers bois. Ils passent non loin de Joseph Jacquot qui a été tiré et laissé sous les arbres par les Allemands. L’heure n’est pas à s’occuper des blessés, il faut aller...

 

Parmi ces hommes, il y a entre autres : les frères Jean, Émile et André Mathey, le fils de ce dernier, Pierre, Henri et Roger Campredon, Gaston Didier, Eugène Coppey, Roger et Georges Cadet, le docteur Duclerget, Louis Helle, Roger Jolain ... C’est le groupe des « chanceux ». Tous passeront la nuit au fort Hatry à Belfort où on leur fait comprendre qu’ils ne sont pas prisonniers mais qu’ils vont travailler. L’ambiance est néanmoins tendue.

 

Le troisième jour, Émile Mathey qui sert d’interprète annonce à ses compagnons qu’ils vont rentrer à Champagney mais qu’il est préférable de ne pas manifester sa joie. Quelles sont les raisons de ce revirement alors que les autres Champagnerots sont partis pour l’Allemagne il y a peu ? Un fort bombardement sur Belfort, la gare et la région avec l’endommagement du viaduc de Dannemarie.

 

Nos hommes font donc le voyage en sens inverse. Arrivés à nouveau au Bochor, ils subissent sous la pluie un violent bombardement, à tel point que les feldgendarmes qui les accompagnaient abandonnent le groupe et se sauvent. M Morand écrit à la date du samedi 14 octobre : « Les hommes que les Boches avaient ramassés pour les envoyer en Bocherie retournent par petits groupes. Joie dans les familles. » Seuls ceux qui s’étaient faits inscrire comme électriciens seront retenus à Belfort quelques jours de plus.

 Autocarte

Après cet épisode, ces hommes ‑ on comprend maintenant pourquoi ils sont chanceux ‑ reprendront leur place auprès des leurs dans l’attente de la délivrance. Les autres, déportés en Allemagne en tant que travailleurs forcés, ne rentreront qu’en mai 1945.

 

Lire l'histoire de Joseph Jacquot lors de la rafle :
Du sang au Bochor
et aussi :
La Libération de Champagney - 5 -


La libération de Champagney - 1 -

 

   
Ce texte est extrait de :
Cham 3

Tag(s) : #La libération de Champagney
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