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Un sujet grave : le destin de la seule famille juive arrêtée à

Champagney pendant la Seconde Guerre Mondiale.

 

La première ordonnance promulguée à l’encontre des juifs date du 27 septembre 1940. A partir de cette date l’arsenal juridique franco-allemand se met en place et le 15 octobre a déjà lieu un premier recensement. Les données récoltées auprès des maires par le préfet doivent parvenir aux autorités allemandes avant le 25 octobre. Le maire de Champagney annonce le chiffre de trois, trois familles juives. Cette comptabilité va se développer en Haute-Saône, puis les arrestations commencer et leur nombre culminer en 1944.

   

Madame Lévy et ses enfants à Champagney en 1942


    etoile

A Champagney, les anciens se souviennent de la famille Bloch. Avant la guerre, monsieur Bloch était coiffeur et fervent supporter des footballeurs locaux. L’autre famille juive évoquée par les témoins est la famille Lévy, d’ailleurs cousine des Bloch.
 

 

Originaire de Strasbourg, la famille Lévy était réfugiée Sous-les-Chênes un quartier au nord du village. Monsieur Lévy est alors prisonnier de guerre. Son épouse refusera de suivre les Bloch lorsque ceux-ci se réfugieront en zone libre. Bien mal lui en prit, puisque le 25 février 1944, deux gendarmes de la brigade locale viendront l’arrêter avec ses deux enfants : Jean, né en 1934 et Jeannine née en 1939.

 

Fernande Lévy et son fils seront conduits au centre de rassemblement d’Héricourt (70) avant d’être déportés. La petite Jeannine, malade, sera hospitalisée à la Société de préservation de l’enfance Grancher à Héricourt, avant d’être placée chez Madame Malbrun de la même ville.

 

Fernande Lévy mourra à Dachau en 1945 alors que son fils réchappera à la déportation.

 F-Levy-et-ses-enfants.jpgMadame Lévy et ses enfants, Jean et Jeanine, photographiés à Champagney en 1942

A la campagne, ce sont les gendarmes qui vont arrêter les juifs à leur domicile. Pour ce qui est de notre histoire, apparemment, ils le font simplement parce cela fait partie de leurs attributions. Ni plus, ni moins. On peut dire et croire qu’ils ne savent pas quel sort est réservé à ces familles dont ils se saisissent. Auraient-ils dû se poser des questions ? Ce n’est sûrement pas à nous de juger de ces comportements individuels…

 

En ce qui concerne plus précisément les gendarmes de la Haute-Saône, le 17 août 1944, estimant ne plus avoir besoin d’eux, les nazis lancent un vaste coup de filet destiné à arrêter tous les personnels.

 

Ceux-ci n’attendent pas d’être pris. Sur 150 officiers et sous-officiers, 59 seulement seront arrêtés, les autres ayant déjà rejoint les maquis.

On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec la police parisienne qui, au cours des pires moments de l’Occupation, a participé aux multiples rafles de Juifs et qui a participé avec courage à l’insurrection parisienne qui a abouti à la libération du 25 août 1944.

 

Si les policiers parisiens ont « basculé » tout à la fin, en Haute-Saône, ce qui a déclenché l’engagement des gendarmes, c’est bien la décision des Allemands de neutraliser la force qu’ils représentaient. Quoi qu’il en soit, 12 gendarmes seront déportés et 19 tués.

 

Les gendarmes de Champagney intégreront, quant à eux, le maquis d’Etobon (70) (petit village éloigné de quelques kilomètres) – seul, le gendarme Pierre Verdun, malade, ne suivra pas ses collègues.

 

Le gendarme Léon Raulin fera partie des 39 hommes d’Etobon fusillés le 27 septembre 1944 (acte de représailles des Allemands à l’encontre d’un village très actif dans la résistance).

 

Echappant à ce premier massacre, les autres membres de la brigade de Champagney, l’adjudant Marcel Henry, les gendarmes Pierre Leblanc et Pierre Savant-Ros seront fusillés par des miliciens, avec 24 autres victimes, le 10 octobre 1944 à Banvillars dans le Territoire de Belfort.

 

Il est à noter que ces deux massacres suivirent de peu l’anéantissement d’un autre maquis dit « du Chérimont », dont 40 membres furent fusillés contre le mur du cimetière de Magny d’Anigon (70) le 18 septembre 1944 et 20 autres exécutés dans un bois à Offemont (90) le 26 septembre. Ces événements se passent dans un rayon de 10 kilomètres.

 

Il n’y a pas de lien véritable entre l’arrestation de la famille Lévy et l’engagement des gendarmes dans la Résistance. Il est possible, après tout, que tel ou tel gendarme ait été touché par la capture de cette mère et de ses deux enfants, tout comme, sept mois après leur arrestation, un autre ait pu les avoir oubliés…

 

On assiste là, à un enchaînement logique et brutal d’évènements provoqués par des circonstances exceptionnelles : la guerre et son cortège d’incohérences.


On trouve la trace de Mme Lévy dans les archives du Mémorial de la shoah.

Voir ce lien :
http://bdi.memorialdelashoah.org/internet/jsp/core/MmsRedirector.jsp?id=107889&type=VICTIM#

   Souvenirs d’une voisine

 

Micheline Marsot

 

   
« Madame Lévy et ses enfants sont arrivés à Champagney en septembre 1939 lors de l’évacuation de tous les civils de Strasbourg.

 

Monsieur Lévy, boucher de son état, était mobilisé. Jean devait avoir quatre ans. Il a été scolarisé à l’école maternelle (4 à 6 ans à l’époque) et ne parlait pratiquement que le dialecte alsacien. Ses progrès en français ont été spectaculaires.

A leur arrivée à Champagney, ils ont habité chez leur cousin Bloch, le coiffeur, où ils ont dû rester jusqu’à l’invasion allemande et jusqu’au moment où Madame Lévy a appris que son mari était prisonnier de guerre.

 

Le propriétaire de la famille Bloch était Monsieur Amann (1). Voyant que les Allemands réquisitionnaient les logements inoccupés, celui-ci a proposé à Madame Lévy de s’installer dans un logement meublé au premier étage de son immeuble ce qui, d’une part évitait la réquisition, et d’autre part soulageait la cohabitation avec la famille Bloch.

 

Le rez-de-chaussée de cette maison était loué à une veuve, Julie Sarre, dont le fils était également prisonnier de guerre.

Jusqu’en 1942, Madame Lévy a vécu normalement à Champagney, allant très fréquemment visiter ses cousins Bloch.

 

En 1942, ceux-ci, alertés par les arrestations des juifs qui s’intensifiaient, ont décidé de s’installer à Lyon, l’ouverture de la ligne de démarcation leur permettant de procéder à un déménagement. Ils pensaient que dans une grande ville, ils seraient moins repérables. Avaient-ils obtenus de faux papiers ? Je n’en sais rien.

 

Monsieur Bloch travaillait comme ouvrier dans un salon de coiffure. Des raisons familiales m’ont amenée à séjourner dans la banlieue de Lyon de mai à octobre 1943 (les écoles avaient été fermées en mai pour utiliser une main d’œuvre enfantine dans l’agriculture). A cette occasion, j’ai rendu visite à la famille Bloch qui habitait le quartier Saint-Jean. La fille – Paulette – était scolarisée dans une « école pratique » (on dirait maintenant professionnelle) de secrétariat. Elle ne portait pas d’étoile jaune et sa maman non plus.

 

Ont-ils été inquiétés ? Se sont-ils cachés ?

 

Ma famille lyonnaise a encore conservé des contacts avec eux après la Libération et c’est certain qu’ils n’ont jamais été arrêtés.

 

Ils avaient proposé à Madame Lévy de les accompagner à Lyon, mais elle a reculé devant ce départ, ses seules ressources étant ses allocations de réfugiés et de femme de prisonnier. Elle craignait de les perdre. Elle ne comprenait pas les craintes des Bloch, se disant qu’à Champagney tout était tranquille.

 

Pour revenir à l’étoile jaune, je pense que c’est vers 1942 qu’ils ont dû la porter. Ma mère faisait la quête auprès des paysans de la région de Malbouhans, avec une charrette, pour avoir quelques pommes de terre. Elle emmenait le petit Jean en expliquant le cas de cette famille dont le père était prisonnier, pour avoir un supplément pour eux. Elle me racontait que Jean enlevait sa veste « à l’étoile » pour entrer et, s’ils rencontraient des Allemands, il croisait ses bras et se cachait derrière ma mère.

 

Je me souviens de l’arrestation de Madame Lévy. Sa voisine, Julie Sarre, est arrivée chez nous au petit matin toute bouleversée : « Les gendarmes de Champagney sont venus chercher Fernande et les enfants. Ils leur ont juste laissé le temps de prendre une petite valise. Ils vont mettre les scellées, il faut sauver leurs maigres biens, je ne peux pas les prendre chez moi ! »

 

Ma mère est allée avec elle, avec deux corbeilles à linge et on a mis au grenier un peu de linge, des photos, quelques papiers.

Par contre, je suis incapable de donner une date. Printemps ou été 44 ? (2)

 

Comme on le sait, Jeannine est restée à Héricourt (3), Jean est parti avec sa mère.

Monsieur Lévy a toujours eu le statut de prisonnier de guerre. A son retour de captivité, il est venu à Champagney avec Jean – peut-être venaient-ils rechercher Jeannine ? – (Ils sont également passés voir la famille Edouard Jacquot que Madame Lévy fréquentait).

 

Je n’étais pas à la maison ce jour-là. Ma mère leur a donné les quelques affaires cachées dans notre grenier. Jean lui a dit que sa mère était morte d’épuisement à la libération des camps. Comme tant d’autres, ce n’était pas facile pour lui d’en parler et pour nous, comment aborder le sujet ? ça aurait été indécent de poser des questions car, si lors des rafles on n’était pas bien renseignés sur ce qui les attendait, à leur retour on savait…

 

Les gendarmes qui ont procédé au « départ » de Madame Lévy ont prit le maquis à l’automne 44 et ont été fusillés, comme on le sait, dans la tragédie du maquis d’Etobon (4).

 

J’ai infiniment de respect pour leur mémoire et leurs familles, mais à l’époque, l’ordre n’est pas tombé par « fax » ! Ils connaissaient les résistants de Champagney (on n’en parlait pas, mais c’était un peu le secret de « Polichinel ».) Mais n’y avait-il rien à faire pour prévenir les Lévy et les aider ? Passer chez eux vite fait la veille ? Evidemment, ils appliquaient la loi … et il y avait leur sécurité du moment…

 

Qui pourra un jour expliquer les multiples facettes de cette époque ? Entre les bons et les méchants, que du flou.

 

Souvent, cela me navre de voir les caricatures qu’on fait de cette époque … et de constater que les mêmes choses se répètent actuellement dans le monde avec plus de médiatisation. »

 

 

(1)   Monsieur et Madame Amann seront tués dans cette maison par les bombardements lors de la Libération en 1944 (55 jour de bombardement octobre-novembre 1944)

(2)   Dans le livre « Héros & Martyrs », Jean Reuchet dit que les Lévy ont été arrêtés 25 février 1944. (Editions Crimée – 1999)

(3) & (4) Voir mon texte ci-dessus

 

 

Micheline Marsot est née à Champagney en 1928.

 

Le texte de Micheline ainsi que la photo de Mme Lévy ont été publiés dans l'ouvrage "Mémoire de la Shoah, photographies et témoignages", éditions du Chêne - 2005, page 91. Mais, les éditions du Chêne n'ont pas publié le témoignagne dans son entier, il l'ont publié jusqu'à " ... à leur retour on savait ..."

 

 

Tag(s) : #Histoire locale
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