Le Vœu de
Champagney
Contexte de sa
rédaction
Le 19 mars 1789 a lieu la rédaction du cahier de doléances de la communauté de Champagney,
document qui contient en son sein le fameux article 29 – le « vœu de Champagney » - en faveur de l’abolition de la traite négrière. Cet anniversaire est l’occasion de revenir sur le
contexte de l’époque.
Petite fille dans la neige, par Louis-Simon Lassalle
L’hiver 1788-1789 fut terrible. Les grands froids étaient arrivés au début du mois de décembre. La Saône était gelée, « trois pieds d’épaisseur de glace » (près d’un mètre) précise un registre de délibérations de la communauté d’Amance. Le même document dit qu’il y avait quinze à dix-huit pouces de neige (40 à 50 cm) et que, de mémoire d’homme, on n’avait jamais connu un tel froid. La farine manquait d’autant plus que la récolte de 1788 avait été désastreuse. Les moulins ne pouvaient plus fonctionner. Lorsque l’un d’eux tournait, on se battait pour pouvoir y moudre. A la veille de la Révolution, les arbres fruitiers étaient détruits.
Le soulèvement populaire est expliqué, en partie, par
certains historiens comme une conséquence de cet hiver particulièrement rigoureux. Ce qui est sûr c’est que la famine consécutive aux dégâts engendrés par le gel provoqua des émeutes à Besançon
et à Vesoul dès le mois de mars 1789. On mourait de faim et de froid et des spéculateurs fermèrent leurs greniers à grain pour peser sur le cours du blé.
Le redoux survint en janvier 1789
accompagné de fortes pluies engendrant une nouvelle calamité : des inondations dans tout le département.
Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l’hiver de 1788, par Louis
Hersent
C’est dans ce contexte
climatique que se déroule la rédaction des cahiers de doléances en vue de la réunion des Etats Généraux. Au mois de mars, dans toutes les villes et villages des baillages qui composent la
Franche-Comté, celui d’Amont, celui d’Aval et celui de Dole, on rédige, à partir d’un modèle-type, les cahiers de doléances. On élira ensuite les députés aux assemblées de baillages puis à
l’Assemblée nationale.
Selon une étude publiée en 1934, sur les
quelques deux mille cahiers de doléances rédigés par les représentants des trois ordres à travers toute la France, 21 se déclaraient en faveur de l’émancipation des Noirs et 28 en faveur de la
cessation de la traite des esclaves. Certains restaient ambigus, comme à Amiens où il était écrit : « qu’un homme ne peut, à aucun titre, devenir la propriété d’un autre homme »,
tout en précisant que ce vœu ne prétendait pas détruire les richesses des colons.
René Simonin, le créateur de la Maison
de la Négritude, estimait que le vœu de Champagney en faveur des Noirs est le seul en France rédigé dans un style si énergique. Même dans les villes influencées par des abolitionnistes, comme
à Emberménil, pays de l’abbé Grégoire, surnommé le « libérateur des Noirs », on ne trouve pas une telle exigence morale.
A l’opposé, dans les ports, cités
tellement bénéficiaires du commerce transatlantique, les cahiers de doléances réclament clairement la liberté du commerce et condamnent l’idée « que l’on pourrait trouver des gens assez
peu au courant des réalités économiques pour tenter l’abolition de la traite ».
UN NOBLE RÉVOLUTIONNAIRE
Mais qu’est-ce qui, dans le contexte de
l’hiver 1788‑1789, a conduit les habitants d’un pauvre village de Haute-Saône à se préoccuper du sort des Noirs esclaves alors qu’eux-mêmes étaient encore victimes des contraintes du système
féodal ?
Les cahiers de doléances furent
fréquemment inspirés des réflexions d’intellectuels ou de notables locaux qui, souvent, tinrent la plume. Ce fut le cas à Champagney. Un noble du cru, Jacques Antoine Priqueler, capitaine de
cavalerie et garde du corps du roi Louis XVI, se trouvait en congé dans son village au début de l’année 1789. Bien que relevant de la noblesse, il est élu par les paysans de Champagney délégué
grand-électeur.
Il est à noter que pour participer à ce
scrutin il fallait acquitter un impôt, le cens. Cette barrière réduisant le nombre de participants à une soixantaine de chefs de famille.
Priqueler, fréquentant des milieux
éclairés et influents de la Cour, aurait été proche de la Société des Amis des Noirs qui, à Paris, militait pour l’abolition de l’esclavage.
Pour dire toute la vérité sur ce
personnage qui inspira le « Vœu de Champagney » et rédigea peut-être (1) aussi l’ensemble du cahier de cette communauté, il faut savoir
que son frère François et son oncle Gobel, évêque coadjuteur de Bâle, seront les principaux meneurs de la Révolution qui aboutira à la création de la République
Rauracienne (actuel Jura bernois). L’évêque Gobel finira sur l’échafaud en mars 1794 avec les « Enragés ».
D'après René Simonin Priqueler prit la tête des troupes occupant le pays de Porrentruy et, au nom de la Révolution, organisa le pillage de cette région à tel point que les officiers comtois des troupes d’occupation alertèrent la Convention pour que cessent ces excès. Il ajoute que les pillards furent arrêtés.
D'après René Simonin Priqueler prit la tête des troupes occupant le pays de Porrentruy et, au nom de la Révolution, organisa le pillage de cette région à tel point que les officiers comtois des troupes d’occupation alertèrent la Convention pour que cessent ces excès. Il ajoute que les pillards furent arrêtés.
La société jurasienne d'émulation donne une fin de
biographie un peu différente du personnage.
Né Jacques-Antoine Fridolin
le 6 mars 1753 à Champagney. Ses parents étaient Jean-Baptiste Priqueler, lieutenant de cavalerie, chevalier de Saint-Louis (26.3.1698/01.11.1752) et Marie-Thérèse Gobel, sœur de l’évêque Jean-Baptiste Gobel. Il
entame une carrière militaire dès 1769 au sein des gardes du corps du Roi, reçoit son brevet de capitaine en 1786 (capitaine de cavalerie).
Après le licenciement de son corps en 1791, on le retrouve deux ans plus tard à Porrentruy. Le 23 août 1793, il est nommé capitaine de la deuxième compagnie de gendarmerie du département du Mont-Terrible stationnée à Delémont. Le 15 mai 1795, il est nommé à la tête de la première compagnie, remplaçant le capitaine Bouchelier parti en retraite. Priqueler s’installe alors à Porrentruy où il devient le chef de tous les gendarmes du département. Lors de l’annexion de ce dernier, le 17 février 1800, il est remplacé par son neveu Joseph-Antoine Rengguer. A partir de là, on perd la trace de Priqueler.
Après le licenciement de son corps en 1791, on le retrouve deux ans plus tard à Porrentruy. Le 23 août 1793, il est nommé capitaine de la deuxième compagnie de gendarmerie du département du Mont-Terrible stationnée à Delémont. Le 15 mai 1795, il est nommé à la tête de la première compagnie, remplaçant le capitaine Bouchelier parti en retraite. Priqueler s’installe alors à Porrentruy où il devient le chef de tous les gendarmes du département. Lors de l’annexion de ce dernier, le 17 février 1800, il est remplacé par son neveu Joseph-Antoine Rengguer. A partir de là, on perd la trace de Priqueler.
Portraits de
Jean-Baptiste-Joseph Gobel (1727-1794), évêque de Paris en 1792-1793, et Pierre-Gaspard Chaumette (1763-1794), procureur de la commune en 1792, esquissé sur le chemin de la guillotine 12 avril
1794, par Dominique Vivant Denon
Lire aussi : Qui sont les signataires du cahier de doléances ?
(1) Qui est l'auteur du cahier de doléances ?
M Georges Rech, directeur des archives départementales de Vesoul précise que le procès verbal d'élection des députés de la communauté à l'assemblée bailliagère d'Amont (21 mars 1789) a été rédigé par André Pezet, notaire au bailliage de Lure en résidence à Champagney. Comme dans ce procès verbal Pezet écrit explicitement que les habitants ont rédigé leur cahier, ce n'est donc pas lui qui en est l’auteur. En revanche, il a numéroté et paraphé chacune des pages "en bas d'icelle", son encre est différente de celle qui a servi à écrire le texte du cahier.
M Georges Rech, directeur des archives départementales de Vesoul précise que le procès verbal d'élection des députés de la communauté à l'assemblée bailliagère d'Amont (21 mars 1789) a été rédigé par André Pezet, notaire au bailliage de Lure en résidence à Champagney. Comme dans ce procès verbal Pezet écrit explicitement que les habitants ont rédigé leur cahier, ce n'est donc pas lui qui en est l’auteur. En revanche, il a numéroté et paraphé chacune des pages "en bas d'icelle", son encre est différente de celle qui a servi à écrire le texte du cahier.