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TẺMOIGNAGES

 

55 jours sous les bombes

Il en est désormais de la Secondre Guerre mondiale comme de la Première : les témoins disparaissent ...
Les témoignages publiés ci-dessous ont été recueillis il y a quelques années.
Aujourd'hui Paulette et Hélène ne sont plus, la première est décédée en novembre 2009, la seconde le 21 octobre 2011.
En guise d'hommage à deux voisines, deux amies ...

 

Hélène Lassauge, née en 1912, et sa voisine Paulette Ballay, née en 1913, se souviennent de la plus terrible période de leur existence, celle des bombardements de l’automne 1944.

 

Le père d’Hélène, Edouard Hambert était maréchal-ferrant en face de l’actuelle gendarmerie. C’est dans la cave voûtée de cette maison que les deux familles vont se réfugier dans l’attente angoissée du jour de la libération.

 

 

Huit personnes étaient réfugiées dans cette cave : Edouard Hambert, son épouse Marie, ses filles Hélène et Lucienne, Paul et Julia Ballay, leur fille Paulette ainsi que la cousine de celle-ci, Yvonne Deloye (son mari étant alors prisonnier en Allemagne).

Hélène Lassauge raconte les choses comme si elles dataient de la veille : « On a entendu les premiers obus vers le 20 septembre. Papa a dit : “Cette fois-ci, ça y est ! On va y être …” (sous-entendu libérés). On avait appris par la radio que le débarquement avait eu lieu, on espérait. Et puis les obus sont tombés plus fréquemment. On dégringolait à la cave puis, l’alerte passée, on remontait. En octobre, il a fallu s’y installer pour de bon. »

Edouard avait racheté des traverses du tacot dont l’exploitation avait cessé en 1937. Celles-ci furent alignées sur le sol de la cave, recouvertes de paille et des matelas posés par-dessus. Tout le monde dormait là en rang d’oignons.

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Le cimetière de Champagney après les bombardements


« On remontait à la maison lorsqu’on avait besoin de quelque chose, poursuit Hélène, ça bombardait par périodes, c’était irrégulier, la nuit, le jour. On entendait passer les obus, on disait : “C’est pas pour nous !”. Le temps était long. On causait. On riait quand on pouvait. Des fois, le moral était bon. Depuis la cave on ne se rendait pas bien compte des évènements. On a eu peu de visites, des gens surpris par les bombardements justement, qui rappliquaient en catastrophe, une fois le père Morcely, une autre Edmond Boillat surpris au jardin. Des Boches passaient aussi. Ils avaient mis leurs mulets dans notre écurie, des mulets qu’ils utilisaient pour ravitailler leurs soldats en ligne. Comme il pleuvait tout le temps, une fois, un jeune est descendu vers nous pour faire sécher ses couvertures près de notre fourneau, il dit à maman : “ Oh, madame, fait chier la guerre !”. Une autre fois, un grand nous a apporté de la brioche. Maman nous dit : “Eh bien voilà, vous avez mangé c’te brioche qui vient du corbillard !”  (Cet Allemand utilisait le corbillard comme moyen de transport).

On mangeait surtout des patates. On allait les arracher au-dessus du cimetière, tôt le matin, à la nuit. On ne voyait pas clair, on se dépêchait, on ramassait les cailloux ! On ramenait ce qu’on pouvait. Et ça se mettait à tirer dès la pointe du jour. Irma Poivey, l’institutrice de la Selle (où se trouvait de l’artillerie française) disait aux Français : “Mais vous faites la guerre aux civils !” »

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La gare entièrement détruite


Dans la cave, c’était l’obscurité. « On avait fait des loupiotes avec de l’huile de foie de morue comme combustible, prise dans la pharmacie. Ça sentait mauvais. Le matin de la Toussaint, mes parents son allés au cimetière, il faisait encore nuit. Il y avait de la neige.

Un jour deux Allemands sont passés nous prévenir : “ Alles partis !” Et puis le pont a sauté. Mon père disait : “Attendez-voir, on croit que tout est foutu, c’est alors que tout s’arrange !” Le 19 novembre la maman de Paulette (Ballay) se coiffait à l’extérieur, dans l’escalier de la cave. Tout à coup, elle dit : “Hep ! Hep ! J’crois bien qu’les voilà.” C’étaient les premiers soldats français avec des casques plats qui montaient la route. Ils nous ont dit : “Attention ! on ne sait jamais.” L’après-midi beaucoup de véhicules sont passés, et des chars. On n’était pas gais comme on aurait dû. On a vu passer Robert Joyerot. Jeannette André nous dit en le voyant : « Tiens, voici quelqu’un du secteur ! ». (Robert Joyerot, d’Eboulet venait de s’engager dans la 1ère DFL, il sera tué à Auxelles-Bas le 21 novembre. Il avait 20 ans.)

 

Au plus fort de la guerre, la mort et la vie se côtoyaient. Ainsi, Hélène se rappelle encore, qu’en face de chez eux (dans l’actuelle maison Brigand), il y eut une naissance la nuit même de la Libération, une petite fille : Jacqueline Nicolas.

Libérés, la mort dans l’âme, les Hambert vont se réfugier chez leurs voisins Jaccachoury.“ On est trop vieux pour être démolis !” se lamentait le père d’Hélène.

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L'école du Magny

Paulette Ballay, elle aussi, se souvient de cette affreuse période : « Les premiers obus étaient tombés à l’entrée du village, et puis ce n’est plus devenu tenable. Nous sommes descendus dans la cave, chez Lassauge, le 27 septembre 1944 pour en ressortir le 19 novembre à 10 heures. Je n’ai plus bougé de là. On était comme obnubilés par ce qui allait arriver. Lorsqu’il y avait une période sans bombardement, on se disait que ça allait peut-être finir. On vivait dans cet espoir. On savait que ça allait arriver mais jamais on aurait pensé rester ainsi terrés aussi longtemps. Dans les moments de calme on remontait pour la toilette. J’étais abattue, j’ai beaucoup prié. Il est arrivé que des Allemands viennent se mettre à l’abri dans la cave. On mangeait au petit bonheur la chance, surtout des pommes de terre. Parfois, papa allait tuer un lapin. »

 

Le 19 novembre, les premiers soldats français leur disent de rester dans la cave. Ce soir-là, Paulette est délivrée d’un poids énorme, la guerre était finie et ils s’en sont sortis vivants. Mais ses sentiments sont mitigés. « Après ça nous n’avions plus de domicile et nous sommes restés chez Hambert quelques jours. Puis chez Jaccachoury nous ont prêté une chambre jusqu’à Noël 1944. Mais il nous tardait de rentrer chez nous. A Noël notre toit est réparé, nous pouvons enfin rentrer. Chaque jour on apprend la mort de tel ou tel, ou que celui-ci a été blessé. Il y a de grands mouvements de troupes, il faut souvent loger des soldats de passage. Un matin, une ordonnance arrive du bas du village à la recherche d’eau pour faire du café pour le général. »

Les voies étant détériorées et le tunnel de la Chaillée hors d’usage, Paulette ne retournera travailler à Belfort qu’à l’été 1945.

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Le pont à l'entrée du village que les Allemands ont fait sauter
Photos de Yvette Mathey


Nos deux témoins racontent les choses un peu différemment. Si l’une mêle à son récit des anecdotes qui la font toujours rire, l’autre reste marquée par l’angoisse que le fracas de la guerre engendra alors.

Impossible d’oublier que ce bombardement de deux mois causa la mort de 115 villageois et en blessa 120 autres. La libération de Champagney fut aussi synonyme de tristesse et d’amertume. Plus de soixante après, les mêmes sentiments n’ont pas quitté les derniers témoins.

 

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 Ci-dessus et ci-dessous la maison le Paulette Ballay en 1945
occupée par les soldats français
Photos de Paulette Ballay

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Voir également :
La Libération de Champagney - 19 novembre 1944
Hélène Lassauge - hommage
55 jours sous les bombes - Champagney - témoignages

Tag(s) : #Histoire locale
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